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à Paris, en aucun temps, et il avait dû s’éloigner définitivement de la Cour à la suite d’une affaire d’assassinat entreprise de compte à demi avec son futur beau-père.

Cela s’était passé en 1636. Gaston vivait alors très obscurément. Il était censé habiter son château de Blois. En fait, il était sans cesse à Paris, souffert par le roi, qui daignait répéter avec lui des pas de ballet, et traité par Richelieu avec le mépris qui lui était dû. Le cardinal lui changeait ses domestiques sans le consulter et mettait ses amis à la Bastille, ou bien il lui donnait des « gratifications, » pour le faire réfléchir à l’avantage d’être en bons termes avec la Cour. Richelieu aurait voulu le résoudre à rompre son mariage clandestin avec Marguerite de Lorraine, qu’il ne lui avait pas permis de ramener en France. Il faut rendre cette justice à Monsieur, — car c’est, je crois, la seule bonne action qu’on lui connaisse, — qu’il ne consentit jamais à abandonner sa femme ; mais il y a manière de faire les choses les plus louables, et la sienne ne fut pas reluisante. Rien n’avait pu le corriger de sa passion malheureuse pour les complots. Il en avait toujours quelqu’un sur la planche, et toujours cela tournait mal pour qui s’était fié à lui. Dans son ardent désir d’être délivré du cardinal, Monsieur s’efforça de lui faire accroire qu’il avait devant lui un Gaston nouveau, contrit et repenti, soumis et sincère, et cependant lia partie avec le comte de Soissons pour le faire assassiner. La France entière s’imaginait qu’une fois Richelieu mort, chacun ferait tout ce qu’il lui plairait.

Les conjurés choisirent le moment où le roi et son ministre se trouvaient au siège de Corbie. La période française de la guerre de Trente Ans était ouverte depuis dix-huit mois, avec les premiers résultats que l’on sait : la France envahie, Paris menacé et affolé, tout le monde aux frontières, y compris le Duc d’Orléans et M. le Comte, à qui l’on n’avait pu refuser des commandemens. Ces derniers convinrent de profiter d’un conseil de guerre pour faire leur coup. M. le Comte devait accompagner Richelieu à la sortie et détourner son attention ; le Duc d’Orléans se chargeait de donner le signal aux assassins. L’arrangement était imprudent. Monsieur n’avait pas appris à maîtriser ses nerfs depuis le temps où il dénonçait Chalais ; il était resté un impulsif aux paniques insurmontables. La peur le prit à l’apparition du cardinal, qui passait, hautain et tranquille, pour monter dans son carrosse. Monsieur s’élança dans un escalier, emportant l’un de ses