Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/838

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inventé qu’elles avaient le droit d’être des femmes comme les autres, de s’appartenir, de vivre pour elles-mêmes sur les marches d’un trône et jusque sur le trône. Le jour où ces idées bourgeoises ont germé dans leur cerveau a été une date dans l’histoire de la royauté ; il n’y a peut-être pas eu de signe plus certain de l’affaiblissement de l’idée monarchique dans l’Europe contemporaine.

La Grande Mademoiselle était dans la vieille tradition, et plus encore qu’il n’eût été nécessaire. Elle était par trop résignée à ce que son futur époux ne vît en elle que son titre de petite fille de France et ses beaux duchés, et elle le lui rendait d’avance avec trop de sérénité. Qu’un prétendant fût beau ou laid, vieux et podagre ou encore dans les langes, que ce fût « un brutal » ou « un honnête homme, « c’étaient autant de détails sans importance, indignes de l’attention d’une « grande princesse. » L’époux de Mlle de Montpensier, nièce du roi de France, serait-il Majesté, Altesse, ou seulement Monseigneur ? Quelles femmes auraient le droit de s’asseoir devant son épouse, et serait-ce sur des sièges à bras ou de simples plians ? Toute la question était là. Nous n’avons plus la force d’admirer un détachement aussi complet ; nous aimerions qu’il en eût coûté un peu à Mademoiselle d’être réduite par « sa condition » à oublier que le mariage, quelque princier qu’il soit, comporte néanmoins un mari ; mais il faut en prendre notre parti. Mademoiselle trouvait les choses très bien arrangées ainsi.

Le premier qui amusa son imagination fut un ancien soupirant de sa mère, le comte de Soissons, brillant soldat et esprit médiocre. « M. le Comte » avait autrefois recherché la main de sa cousine Marie, duchesse de Montpensier, et assez vivement pour faire craindre un enlèvement. Le dépit d’avoir été supplanté le brouilla avec Gaston ; la mort inattendue de Madame les réconcilia. Une année ne s’était pas écoulée que Monsieur restait veuf avec une fille unique, héritière des grands biens de sa mère. La situation se retrouvait intacte. M. le Comte se posa en prétendant de la nouvelle duchesse de Montpensier et fut agréé de Monsieur, à qui sa conduite sembla très naturelle ; il en aurait fait autant à sa place. Aussi loin que la Grande Mademoiselle remontait dans ses souvenirs, elle y retrouvait les « soins assidus » de ce cousin déjà mûr, qui la régalait de dragées par l’intermédiaire d’un gentilhomme nommé Campion, chargé de rendre son maître agréable à la petite princesse des Tuileries. Lui-même n’était presque jamais