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A la droite d’Anne d’Autriche, sur un petit fauteuil d’enfant, on aperçoit le Dauphin, qui ne pouvait pas avoir plus de trois ou quatre ans. Plus à droite encore, une femme debout tient un gros poupon, le petit frère du Dauphin.

Cette assiduité des enfans de haute naissance au théâtre, dès le maillot et quel que fût le spectacle, assurait à « la comédie » un grand rôle dans l’éducation. La jeunesse aristocratique buvait des yeux et des oreilles, si j’ose m’exprimer ainsi, et à un âge où la raison ne vient pas encore corriger nos impressions, l’un des répertoires dramatiques les plus romanesques que nous ayons jamais eus en France, l’un des plus propres à jeter une génération dans le faux et le chimérique. Il y avait là une aberration, qui tenait peut-être à ce que le théâtre était un plaisir nouveau, dont les inconvéniens, à pareille dose et pour des esprits aussi tendres, n’avaient pas encore été reconnus. J’imagine, en tout cas, que la présence habituelle des enfans dans les salles de spectacle a été pour quelque chose dans la condamnation de « la comédie, » au nom de la religion et des bonnes mœurs, par beaucoup de moralistes et de prédicateurs du XVIIe siècle. Ceux qui en dénonçaient les dangers, avec une sévérité dont l’excès nous étonne d’abord, en parlaient le plus souvent par expérience. Le prince de Conti, frère du grand Condé, n’eut qu’à se souvenir, lorsqu’il écrivit, au sortir d’une jeunesse peu édifiante, son Traité de la comédie et des spectacles[1], destiné « particulièrement » aux étourdis qui ne croyaient point faire de mal en fréquentant le théâtre. « J’espère leur prouver, dit le prince au début de son ouvrage, que la comédie, en l’état qu’elle est aujourd’hui, n’est pas un divertissement innocent comme ils se l’imaginent, et qu’un chrétien est obligé de le regarder comme un mal. »

Quelques pages plus loin, il précise ses accusations, et c’est, au fond, à l’Astrée qu’il fait son procès, lorsqu’il se plaint que rien n’intéresse plus, à la scène, en dehors de l’amour et des amoureux : « L’amour, dit-il, est présentement la passion qu’il y faut traiter le plus à fond ; et, quelque belle que soit une pièce de théâtre, si l’amour n’y est conduit d’une manière délicate, tendre et passionnée, elle n’aura d’autres succès que celui de dégoûter les spectateurs et de ruiner les comédiens. Les différentes beautés des pièces consistent aujourd’hui aux diverses manières de traiter

  1. Publié en 1666.