Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/803

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

organisation n’entrave pas la prospérité industrielle et commerciale des pays qui l’ont adoptée. Après avoir montré la possibilité de rétablir l’organisation corporative, il importe de montrer aussi que c’est le remède le plus efficace à opposer aux progrès du socialisme révolutionnaire et international, et que c’est la seule base rationnelle pour fonder les institutions représentatives des démocraties modernes. Enfin, il reste à expliquer les deux systèmes qui peuvent servir à reconstituer cette organisation : l’association libre et la corporation obligatoire.


II

Quand on parle de l’organisation corporative, il faut toujours être en garde contre une erreur trop répandue. Le mot corporation réveille dans l’esprit de beaucoup l’idée des maîtrises et des jurandes du siècle dernier, c’est-à-dire d’une organisation policière et fiscale, profitant exclusivement à quelques maîtres privilégiés qui jouissent, à beaux deniers comptans, d’un monopole arbitraire, sous la tutelle administrative, et en vertu d’une réglementation imposée par l’Etat. Partout où l’évolution s’est produite, le peuple s’est attaché à renouer des traditions plus anciennes et à remonter aux anciennes ghildes. Phénomène bien bizarre que cette persistance, chez les travailleurs, de souvenirs tellement oubliés par les lettrés eux-mêmes, que les érudits et les hommes d’Etat qui ont voulu, à un certain moment, se bien rendre compte des véritables aspirations des travailleurs et démêler l’idéal un peu confus que poursuivait leur rêve, ont eu peine à en exhumer les monumens perdus dans les archives nationales. C’est qu’au fond l’humanité reste éternellement soumise à des lois inéluctables, et qu’il n’existe pas plusieurs solutions pour le même problème. « Le but principal des corporations du moyen âge, but dont on reconnaîtra de plus en plus l’utilité à mesure que les siècles s’écouleront, fut la protection de tout homme de travail contre les empiétemens des plus forts et des plus habiles et surtout contre les entreprises de la spéculation[1]. » Les institutions et les hommes ont pu changer, mais ce besoin de protection se fait sentir à notre époque tout autant qu’aux époques les plus troublées du moyen âge. « L’Eglise, dit M. Keller[2], réussit

  1. Funck Brentano, Philippe le Bel en Flandre, p. 51.
  2. L’ouvrier libre, par M. E. Keller.