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Le socialisme est né de ces souffrances, de l’extension du prolétariat, de la révolte et des rancunes des victimes de la révolution économique. C’est une réaction contre le laisser faire et une exagération du principe d’autorité. Il poursuit un double but : la nationalisation du sol et des instrumens de production, l’organisation du travail et la répartition de ses produits par l’Etat. Le régime rêvé par les socialistes aurait pour conséquence la suppression de toute initiative et de toute liberté : les travailleurs, devenus des fonctionnaires, astreints à une discipline militaire, se verraient privés de leur indépendance et courbés sous une servitude semblable à celle que faisaient peser sur leurs peuples les anciens Pharaons. Mais les masses, affamées et épuisées par un travail sans répit ni trêve, y voient l’amélioration de leur condition actuelle, la réduction des heures de travail, la satisfaction de voir les riches assujettis à la dure loi du labeur ; aussi, dans toute l’Europe, les progrès du socialisme ont-ils été effrayans.

Il faut bien reconnaître que, jusqu’à présent, les économistes et les politiques de l’école libérale n’ont opposé à la propagande socialiste que des palliatifs insuffisans. Les remèdes préconisés par les mutualistes, par les apôtres de la coopération, ont pu apporter quelque soulagement à des maux trop réels ; néanmoins les résultats obtenus sont médiocres et leur échec ajoute encore au triomphe de l’idée socialiste. Mais, parallèlement au mouvement socialiste, il s’est produit partout en Europe un mouvement populaire, qui, méconnu et combattu au début par les sa vans et les hommes d’État, s’affirme aujourd’hui de plus en plus chez tous les peuples industriels. Ce mouvement tend à revenir à l’organisation traditionnelle qui, pendant plus de dix siècles, a procuré la paix au monde du travail et permis de substituer sans révolutions et sans crises le travail de l’homme libre au travail de l’esclave. L’instinct providentiel des masses reconnaît dans le régime corporatif le seul moyen de sauvegarder par l’association la liberté et l’indépendance des travailleurs, et c’est par le groupement professionnel, dont il a conservé le souvenir à demi effacé, que le peuple cherche à sauver la petite propriété, la petite industrie, la petite épargne, et à garantir aux producteurs une participation équitable dans les bénéfices réalisés. On a prétendu que c’était un anachronisme, une malencontreuse restauration de pratiques condamnées par l’expérience : en dépit de toutes les critiques, de toutes les oppositions, de tous les obstacles légaux,