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disproportion entre la protection et l’offensive. Sur les cuirassés les plus beaux, les derniers nés, la cuirasse manque où elle est indispensable, elle est surabondante là où elle est inutile ; l’offensive y est représentée, sur des croiseurs mal protégés, par d’énormes canons, et, sur des croiseurs bien protégés, par des canons très faibles ; l’artillerie est médiocre à tous les points de vue.

Et ici, qu’on nous permette de raconter une histoire où nous jouons un rôle personnel, si bien qu’il est impossible à n’importe qui d’en contester le moindre détail. On y verra, sur un point bien déterminé, bien défini, les preuves de tout ce que nous venons de dire au sujet des qualités et des défauts anglais, et peut-être y trouvera-t-on des raisons de ne pas repousser, de suite, les affirmations optimistes, contraires à l’opinion de tout le monde, qui sont le fond de cet article.

C’était en 1891. Faisant une œuvre fort utile, bien qu’elle lui ait valu des critiques acerbes, le général, qui nous a précédé comme directeur de l’artillerie, avait fait acheter en Angleterre les premiers canons à tir rapide, de 12 et de 15, produits par la maison Armstrong. Ce matériel était l’objet de l’admiration de toute la presse anglaise et encore plus de la presse française depuis longtemps en proie à l’anglomanie. Nous faisions, nous, tranquillement et d’une façon méthodique, des essais en vue de transformer, à peu de frais et promptement, notre matériel de 100, de 138,6 et de 164,7.

Un ingénieur anglais et un mécanicien avaient accompagné en France les canons Armstrong pour les faire valoir. La supériorité de ce matériel sur tout ce que nous pouvions avoir en fait d’artillerie à tir rapide était un dogme, et tout ce que ces étrangers avaient entendu, hélas ! au ministère de la Marine, les confirmait dans cette idée flatteuse pour leur amour-propre et pleine de promesses pour leur usine. Je les priai d’aller se promener dans Paris, où une foule de curiosités pouvaient suffire à l’utilisation de leur temps, jusqu’à ce que le personnel du polygone de Sevran-Livry et du laboratoire de l’artillerie eût effectué le montage et la reconnaissance de leur matériel. L’ingénieur parut scandalisé ! il affirma que jamais notre personnel militaire, étranger à ce genre de choses, ne pourrait monter des affûts très compliqués, très savans, comportant des détails dont l’importance était difficile à apprécier, résolvant des problèmes tout à fait nouveaux, et qu’il pourrait même démolir ou avarier des pièces