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commerce maritime de l’Angleterre. Avoir beaucoup de croiseurs, presque exclusivement des croiseurs et des torpilleurs, pour détruire les paquebots anglais et les navires chargés de coton, de laines, de bétail, de thé ou de blé, qui effectueraient l’approvisionnement de l’Angleterre, affamer ainsi une nation qui n’a pas chez elle de ressources suffisantes pour alimenter sa population, cela parait sérieux a priori. Mais, si l’on réfléchit que nos croiseurs, jouant ainsi le rôle des anciens corsaires, ne trouveraient sur les mers où ils devraient exercer leur action ni bases de ravitaillement, ni dépôts de charbon pour renouveler leurs munitions et leurs forces vitales, on se demande comment on peut envisager sérieusement une pareille manière de faire la guerre contre un peuple qui a, au contraire, sur toute la surface des mers, des refuges et du charbon.

Cette conception ne mérite pas qu’on s’y arrête longtemps. Elle a soulevé déjà des objections pratiques aussi fortes que celles que nous venons de présenter, et que nous nous contenterons d’énumérer. D’abord, le traité de 1856 existe toujours, et aucun effort n’a été fait pour l’abroger. Je sais bien que les auteurs, très libres dans leurs conceptions, qui rêvent de ressusciter des corsaires en les rendant officiels, affirment que ce qui n’a été ni prévu, ni tenté en temps de paix, se ferait immédiatement en temps de guerre. Mais nous pensons, au contraire, qu’il faut écarter résolument de tous les calculs, pour le temps de guerre, ce qui n’a pas été considéré comme réalisable, et n’a pas été, par suite, préparé au temps de paix.

D’ailleurs, il n’est pas douteux que la guerre de course profiterait plutôt à l’Angleterre, qui a beaucoup de croiseurs, un grand nombre de stations navales et des communications télégraphiques assurées sur tous les points du globe, qui peut, par suite, voir, parler et agir sur toutes les mers, dans lesquelles la France n’a, au contraire, rien qui lui permette de renseigner et de diriger les croiseurs corsaires qu’elle y enverrait. Tout ce que nous avons de flotte commerciale serait anéanti, à coup sûr, et à bref délai, dans une guerre de course entreprise contre l’Angleterre, si nos navires n’avaient pas recours au changement de pavillon, ressource suprême, que nos adversaires anglais utiliseraient également, et qui est, par elle seule, suffisante pour faire écarter, comme un rêve, les exploits fantastiques prévus par la jeune marine, en rappelant les souvenirs des corsaires des siècles passés. Des considérations