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donc le régime parlementaire, par lui-même et surtout tel qu’il est pratiqué chez nous depuis une vingtaine d’années. Ce régime a rendu impossible, comme nous l’avons dit, la présence à la tête du ministère de la Marine, qui plus qu’aucun autre en a besoin, d’un chef sachant assumer les responsabilités suprêmes, au moment décisif, pour faire le meilleur emploi possible des forces préparées, à grand prix et à grands frais, en vue de la guerre et non en vue de la paix à outrance. Il appartiendrait, en effet, au gouvernement, éclairé par ce chef de la Marine, de prendre sur lui toutes les responsabilités, et de lancer au moment voulu nos forces de terre ou de mer contre l’ennemi, sans s’arrêter devant des appréhensions et la crainte d’échecs toujours possibles sur mer comme sur terre, et quelquefois nécessaires, pour obtenir le succès final et le triomphe définitif au point vital. Il convient naturellement que le ministre de la Marine, quel qu’il soit, civil ou militaire, ait consulté les chefs militaires destinés à prendre le commandement, les directeurs et les administrateurs compétens ; mais c’est à lui de juger en appréciant à leur valeur les renseignemens ainsi recueillis.

Napoléon répondit un jour à son chef d’état-major général, qui lui faisait observer que tous ses généraux se plaignaient d’avoir, les uns, des divisions incomplètes, les autres, des approvisionnemens insuffisans, et des moyens de transport défectueux : « C’est bien ; dites-leur de marcher, » et il ajoutait : « Si j’avais cru mes généraux, jamais je ne serais entré en campagne. » Dans tous les temps, et principalement aujourd’hui, alors que le Président de la République est irresponsable et que les ministres éphémères n’ont qu’une responsabilité fictive, écrite, dont ils se moquent parfaitement, les chefs militaires, dont l’influence est presque nulle en temps de paix, qui seraient les boucs émissaires en cas de défaite, sont naturellement pessimistes et désireux de ne pas subir la redoutable épreuve du commandement en temps de guerre. Un grand homme, un homme de génie sûr de lui, ambitieux, aimant le danger, guerrier au fond de l’âme, comme Napoléon, sait faire le compte des probabilités positives et négatives et prend les armes, confiant en lui-même, quand il a trouvé, par ses calculs, quelques centièmes en faveur d’une victoire, les ressources de son esprit et de sa volonté devant combler les défauts et les vides. Mais toutes les ressources de nos politiciens avisés seraient employées aujourd’hui à éliminer des rangs de l’armée