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est encore vrai aujourd’hui. La puissance de la routine et, il faut le dire, l’absence d’un véritable homme d’Etat au ministère de la Marine, ont laissé persister jusqu’à aujourd’hui un état de choses qui rend inutilisables des forces, très réelles, mais privées d’une tête. Je ne veux pas dire que des tentatives n’aient pas été faites, que des commencemens de réforme n’aient pas eu lieu. Notamment, en ce qui concerne l’artillerie, on a pris une excellente mesure lorsqu’on a créé la direction de l’artillerie. M. Burdeau, pendant son court séjour au ministère de la Marine, avait compris la nécessité d’une réorganisation complète, établie sur une répartition budgétaire par service. L’amiral Rieunier a fait beaucoup pour mettre l’ordre et pour donner à l’artillerie de la Marine, en particulier, les forces qui lui était indispensables ; mais l’action des meilleurs ministres a été trop faible et trop éphémère pour diminuer sensiblement la confusion créée par l’action persistante d’une éducation et d’une organisation nationales contraires à l’esprit français, dont elles exagèrent les défauts et répriment les qualités militaires, telles que l’initiative généreuse et hardie, et le besoin de se dévouer.

D’ailleurs, les ministres ont à compter avec les influences parlementaires d’hommes, qui semblent résolus à ne rien laisser créer ni subsister en France de solide et de résistant, mais surtout à ne pas laisser s’élever des chefs militaires confians en eux-mêmes et prêts à prendre la responsabilité du commandement en temps de guerre. Les ministres placés sous la dépendance du parlement, qui ne leur demande que la souplesse, désireux de conserver un portefeuille obtenu, en général, par beaucoup de concessions regrettables, ne savent pas, assez souvent, imiter l’amiral Jauréguiberry en donnant leur démission plutôt que de rester responsables de mesures et d’un état de choses condamnés par eux.

Aujourd’hui encore, celui qui étudie les documens parlementaires et extra-parlementaires, les publications spéciales ou autres, et qui consulte les autorités réputées les plus compétentes, ne tarde pas, quand il s’agit de la Marine, à éprouver un profond découragement, s’il est, d’ailleurs, étranger à la pratique des affaires de notre flotte et s’il ne connaît pas l’état d’esprit de notre personnel maritime. Il rencontre, en effet, il entend, il lit des affirmations systématiques très absolues, toutes divergentes, et souvent contradictoires, en ce qui concerne les projets pour l’avenir ; les mêmes hommes, les plus haut placés, à quelques mois d’intervalle,