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ESQUISSE D’UN PROGRAMME NAVAL
EN 1900

C’était en 1889. J’avais été rappelé du Tonkin, où je remplissais de très importantes et très attrayantes fonctions, pour remettre en ordre les affaires de l’artillerie, au ministère de la Marine, en qualité de chef de bureau ; j’occupais ce poste depuis quelques mois : un navire s’était plaint de n’avoir pas, en munitions, ce qui lui revenait. Bien que la chose fût insignifiante en elle-même, la Presse, par suite de déplorables habitudes, en avait été informée, s’en était émue, sans savoir exactement de quoi il s’agissait, en déclarant que la patrie était en danger.

Le Port soutenait qu’il avait donné au navire ce qui lui était dû. J’allai trouver le ministre, et je lui fis la proposition suivante : « Si vous voulez m’en croire, vous écrirez au commandant du navire qu’il a les munitions qu’il réclame, et vous le prierez de faire dresser immédiatement un état détaillé de ce qui existe à bord ; et, en même temps, vous écrirez au Port, et vous lui direz qu’il n’a pas délivré tout ce qui revenait au navire, en lui demandant de vous adresser l’état des délivrances faites. Vous êtes certain que vous aurez raison des deux côtés. »

C’est ce qui arriva. Il manquait au navire, qui ne s’en était pas aperçu, quelques projectiles d’exercice d’une certaine espèce ; et il avait, en revanche, les munitions dont l’absence supposée avait plongé ses chefs dans le désespoir, surexcité la presse et alarmé la France, superficiellement, tout au moins, pour quelques jours. La conversation, qui suivit cette histoire, eut lieu à peu près dans les termes suivans :

« LE MINISTRE. — C’est un désordre désespérant !