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les Anglais avaient peut-être le droit de soumettre au blocus la baie de Delagoa ; mais c’est abuser de ce droit, et par conséquent violer le droit des neutres, que de vouloir étendre ce blocus bien loin au-delà, jusqu’à la sortie de la Mer-Rouge. A supposer même que leur droit de visite sur un navire quelconque, et dans un périmètre quelconque, fût sûrement établi, un paquebot-poste eût dû être traité avec plus d’égards, faisant un service et participant d’un office public. Et c’est ainsi que la perte du Bundesrath prenait presque la gravité d’une atteinte à l’Empire allemand. Si d’ailleurs M. de Bulow insistait, c’était uniquement pour la gloire des principes, puisque, en fait, il avait déjà obtenu du cabinet anglais une équitable réparation. Mais de cette aventure il tirait deux conclusions : l’une, théorique, qu’il serait bon de reprendre en cela la tentative manquée de la Haye et de ne rien négliger cette fois pour la mener à bien ; on ne saurait trop y applaudir, car cette partie du droit des gens reste, en vérité, toute à faire, et l’Angleterre, reine de la mer, si l’on ne s’y opposait pas, nous ferait à elle seule, pour son seul usage et son seul profit, un droit maritime que pas un juriste sur le continent, pas un homme d’État en Europe ne contresignerait. L’autre conclusion de M. de Bulow était plus pratique ; un peu dans le genre du vieux Caton : « Et je pense aussi qu’il faut détruire Carthage ! » — Et je pense aussi, ajoutait le ministre, qu’il faut augmenter la flotte allemande ! — Cet argument a fait ce que tous les autres n’avaient pu faire : la demande de crédits va venir incessamment devant le Reichstag, et il y a les plus grandes chances pour qu’ils soient maintenant accordés.


L’Autriche a changé de ministère. Voici le cinquième : Gautsch, Thun, Clary, Wittek et enfin Koerber, depuis que le comte Badeni, par ses fameuses ordonnances sur les langues en Bohême et en Moravie, a ouvert cette longue crise, que M. de Koerber, pas plus que ses prédécesseurs, ne résoudra sans doute ; et la Chine a changé ou s’apprête à changer d’empereur. Tout là-bas, dans le palais de porcelaine, une Agrippine aux yeux bridés opère parmi les Fils du Ciel de ténébreuses substitutions et appelle à l’aide les destinées pour refermer la Chine qui s’entr’ouvrait. On assure que le prestige de l’Angleterre en souffrira sérieusement. Eh quoi ! là encore 1 L’Afrique et l’Asie, le Cap et Pékin à la fois, c’est beaucoup.


Le Directeur-gérant,

F. BRUNETIERE.