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importante du pays, celle de MM. L… frères, exploitée depuis plus de cent cinquante ans par la même famille. Elle se compose de magasins ou bureaux qui, on le comprend, n’ont pas besoin d’être immenses pour recevoir le stock courant d’une marchandise plus précieuse qu’encombrante, et d’ateliers peu étendus au demeurant, mais dont la visite nous amène à signaler une curieuse transformation.

Jusqu’à ces dernières années, le métier à bas dit « français, » le seul dont nous ayons encore parlé, fonctionnait sans rival pour la bonneterie de luxe, d’ailleurs en pleine décadence. Mais depuis 1880 s’est répandu à Ganges l’usage du métier mécanique dit « hollandais, » machine d’une complication extrême, de prix très élevé, mais qui travaille plus vite et plus économiquement que l’ancien métier. Avec le métier mécanique, les vieux erremens d’autrefois s’évanouissent. Au lieu d’un instrument construit dans le pays même, c’est un outil venant des usines de Troyes ou de Puteaux. Au lieu du bras de l’homme, c’est la force de la vapeur qui agit sur le métier. Plus d’apprentissage sempiternel : un bon ouvrier, au bout de quelques mois d’exercice (nous employons ce mot à dessein, car le maniement du vieux ou du nouveau métier s’apprend au début par une décomposition en temps et mouvemens), sait mettre un bas en train.

En revanche, avec le métier hollandais, l’ouvrier ne peut plus travailler chez lui en famille, libre et heureux, en chantant comme jadis ! Adieu l’antique indépendance sacrifiée au servage moderne dans l’atelier tapageur ! Adieu aussi l’exquise propreté d’antan : des taches d’huile presque ineffaçables, malgré la benzine, risquent, bien plus qu’autrefois, de souiller l’ouvrage entamé ; et il y a plutôt raison de s’étonner de voir que les tissus délicats qui prennent naissance au milieu de cette machinerie en activité restent généralement immaculés.

A la fabrique L…, une machine à vapeur de la force de 40 chevaux met en branle non seulement tous les métiers mécaniques de l’usine, mais les machines-outils servant à la réparation desdits métiers, plus bon nombre de machines accessoires fonctionnant aussi pour la bonneterie. Une vingtaine de métiers mécaniques marchaient à grand bruit dans la salle qu’on nous a fait visiter. La soie, déjà teinte à la nuance désirée, est dévidée ou, pour mieux dire, débrouillée, puis enroulée d’une façon parfaitement régulière sur des bobines coniques qu’on place ensuite sur