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tisse encore des chaussettes de soie, des bas noirs pour accompagner la culotte courte des « snobs », et des bas en soie blancs pour recouvrir les mollets des domestiques en grande livrée, mais seulement à titre accessoire.

De nos jours, la coupe de la robe de bal est la même, qu’il s’agisse d’une « sauterie, » d’une grande soirée dansante, ou d’une réunion de cour. Sous le premier Empire et sans doute aussi sous la Restauration, l’étiquette imposait entre les deux toilettes féminines une différence très appréciable[1]. Nous voici en apparence éloignés de notre sujet. Mais non, car cela nous amène à dire que, loin de traîner comme à présent, les jupes des danseuses mondaines étaient relativement écourtées et ne s’allongèrent que bien des années plus tard. Cette mode enfin sauva d’une ruine complète l’industrie gangeoise, car elle exigeait des jeunes femmes on grande tenue de bal l’exhibition de bas de soie d’une élégance irréprochable, et précisément l’usage les imposait blancs, ce qui favorisait les produits de Ganges renommés pour leur éclat.

Arrêtons-nous un peu sur cette période déjà ancienne, mais sur laquelle nous pouvons fournir quelques renseignemens recueillis par tradition ou extraits de divers documens officiels. Ganges, presque aussi peuplée qu’à présent, renferme alors une faible majorité protestante. Son importance agricole est médiocre ou nulle. Ses mûriers, nombreux et soignés, produisent annuellement 20 000 kilogrammes de cocons dont la valeur moyenne est de 3 fr. 25 environ, d’où résultent 19000 kilogrammes de soie filée rendant jusqu’à 46 francs le kilogramme, 800 métiers occupent 500 à 600 ouvriers, et notre petite ville lance annuellement dans le commerce 30 000 paires de bas de soie. Les moins fins se vendent 7 francs la paire, et les extra-fins jusqu’à 12 francs, en dehors, bien entendu, des articles exceptionnels qui peuvent monter à des prix bien plus hauts lorsque la délicatesse du tissu se rehausse par la richesse des jours[2].

Les blancs, répétons-le encore, sont incomparables, mais les noirs laissent un peu à désirer par rapport aux articles similaires de Paris : la couleur présente des reflets « puce » désagréables, et la soie trop chargée en teinture perd une partie de ses qualités

  1. La confusion entre les deux tenues dénotait un manque de savoir-vivre. Voir à ce sujet dans l’Esprit d’Autrefois, de L. Larchey, un mot de Talleyrand.
  2. Chiffres moyens relatifs à l’époque de la Restauration et extraits de la Statistique de l’Hérault, de Creuzé de Lessert.