Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/685

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dépose toujours pendant l’été ; les produits herbacés ou végétaux charriés par le fleuve arrivent à la fin de l’automne, après la chute des feuilles ; le sable ne vient que plus tard, pendant l’hiver. On a donc pu mesurer ainsi très exactement que l’épaisseur totale de ces trois dépôts, parfaitement reconnaissables et distincts, était annuellement de 3 millimètres et demi environ. C’est à peu près 35 centimètres par siècle, presque le triple de l’épaisseur des dépôts annuels du Nil, qui dépassent assez rarement 12 centimètres au bout d’un siècle.

Les débris anciens retrouvés dans les couches peuvent donc être classés suivant leurs âges relatifs, les plus anciens se trouvant naturellement dans les couches profondes, les plus rapprochés de nous dans les couches au-dessus. Mais une découverte précieuse entre toutes a pu servir de point de repère et a permis de rétablir la chronologie absolue des objets retrouvés, et par conséquent des populations qui les y avaient laissés. C’est un petit bronze de l’empereur Tetricus, assez fruste, mais parfaitement authentique. Ce Tetricus était un préfet d’Aquitaine qui usurpa la pourpre à Bordeaux en 268, fut accepté pendant quelques années comme souverain en Gaule, en Espagne et en Bretagne, et finit par se démettre entre les mains d’Aurélien en 275. La couche de sable dans laquelle on a retrouvé sa petite monnaie est donc en quelque sorte datée ; car il est probable qu’elle est contemporaine ou tout au moins très peu postérieure au règne de l’usurpateur. On a ainsi sous les yeux la profondeur exacte de la couche gallo-romaine à la fin du IIIe siècle après notre ère ; et, en remontant au-dessus ou en descendant au-dessous de cette couche à raison de 30 à 35 centimètres par siècle, on peut donner des dates très sensiblement précises à tous les objets retrouvés. La couche de vase dans laquelle se trouvait la petite monnaie de Tetricus est recouverte d’un dépôt de 6 mètres, qui correspond exactement aux 1600 ans qui nous séparent de lui. Des épées et des objets en bronze ont été découverts à 2m,50 au-dessous ; ils sont donc postérieurs de sept à huit siècles ; et on peut en conclure d’une manière à peu près sûre qu’au commencement de l’ère chrétienne, la Gaule, ou tout au moins la région maritime de la Loire, n’était pas encore sortie de l’âge du bronze, et que cet âge remonte à peu près à deux mille cinq cents ans de nous[1].

  1. René Kerviler, le Chronomètre préhistorique de Saint-Nazaire, 1893.