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ment phrygienne et appartenant en tout cas aux plus anciens Ages de l’époque grecque. Ces étranges lieux de séquestration féminine semblent avoir beaucoup impressionné les géographes classiques, qui racontent avec force détails que les femmes Namnètes ne permettaient pas aux hommes l’accès de leurs îles ; que c’étaient elles, au contraire, qui allaient par mer leur rendre des visites périodiques, soit sur leurs bateaux, soit sur la terre voisine, et qu’elles rentraient ensuite chez elles pour célébrer en toute liberté les mystères de l’excellent Bacchus, couronnées de grappes de lierre, en proie à un délire sacré et souvent sanguinaire.

Le port des Deux-Corbeaux, mentionné à la suite par Strabon d’après Artémidore, immédiatement après l’île des femmes, était aussi quelque part sur cette côte fragmentée d’îles et se trouvait très probablement à Brandeü, entre Guérande et la pointe de Castelli. Là, comme partout d’ailleurs sur le rivage armoricain, les corbeaux abondent, et leurs noirs essaims tourbillonnent sans cesse au-dessus de la lande ; mais le nom de Brandeü (en breton vran, corbeau ; bran-deü, les deux corbeaux) semble avoir conservé le souvenir de la vieille légende. Deux de ces oiseaux avaient, nous raconte-t-elle, une de leurs ailes blanches. On les considérait comme sacrés ; et, lorsqu’un désaccord survenait, on s’en rapportait à eux pour le trancher. Les deux adversaires apportaient chacun un gâteau sur un autel élevé. Infailliblement l’un était mangé, l’autre mis en pièces et repoussé par les deux corbeaux. C’était un oracle et un jugement sans appel[1].

Quant au Portus Brivates, il paraît certain qu’il se trouvait quelque part sur l’un des rivages de la lagune vive qui est devenue la Grande-Brière. Ptolémée dit en effet très clairement qu’il était un peu après les embouchures de la Loire en remontant vers le Nord ; et nous avons vu que la Brière était à cette époque un grand golfe rempli à la fois par les eaux du fleuve et par celles de l’Océan, et que ce golfe communiquait au Nord par le goulet de Saint-Lyphard avec l’Océan, ce qui faisait de la région de Guérande une véritable île, probablement l’île Arica, mentionnée par l’Itinéraire maritime. On a même cherché quelquefois à l’identifier avec l’ancien port de Brest, Gesocribate, dont le nom présente une certaine ressemblance avec celui de Brivates ; mais c’est réellement remonter beaucoup trop vers le Nord et absolument

  1. Sioc’han de Kersabiec, op, cit.