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goulet naturel. La reconstitution topographique de l’ancien état des lieux ne saurait par conséquent laisser aucun doute ; et il suffit de savoir lire sur une carte géologique pour reconnaître que tout le territoire, aujourd’hui entouré de bas-fonds, de vasières et de marais salans dont la petite ville de Guérande occupe la position dominante, et qui est désormais soudée au continent, en était autrefois complètement séparée et constituait une grande île de plus de 30 kilomètres de long sur 20 kilomètres environ de largeur ; c’était probablement l’île que Pline et l’Itinéraire maritime désignent sous le nom d’insula Arica[1].

La gracieuse Guérande, entourée de remparts de granit noir couronnés de mâchicoulis et enguirlandés de lierres et de chèvrefeuilles, a conservé presque intacte sa physionomie du moyen âge. Ses larges fossés, ses quatre portes, dont l’une est, avec ses annexes, une véritable forteresse, ses dix tours crénelées, ses vieux manoirs à tourelles, l’admirable profil de sa vieille église, et surtout l’opulente ceinture d’arbres séculaires qui l’enveloppe d’ombre et presque de mystère, lui donnent un très grand air et surtout l’air d’un autre temps. Vue à distance, on dirait plutôt une oasis ou un nid de verdure qu’une place forte des temps chevaleresques et héroïques. Ce n’est plus aujourd’hui que le centre modeste des paludiers et des saliniers de la région, et elle a perdu toute l’importance maritime et guerrière qu’elle paraît avoir eu jadis. Il est même probable que, comme Nantes des anciens temps, la vieille Guérande comprenait deux quartiers distincts, la ville haute et la ville basse ; — la première Wen-ran, Gwen-ran ou Gucr-Grann, établie sur le plateau et qui a subsisté, excellent poste d’observation militaire, dominant à la fois la Loire qui remplissait la Grande-Brière et l’Océan qui venait battre le pied de la falaise, et que l’on croit reconnaître dans la Grannona mentionnée par la « Notice des dignités de l’Empire ; » — la seconde, qui semble répondre au port de Corbilon, cité par Polybe, mais dont il n’existait plus déjà que des souvenirs au temps de Strabon, ou au port de Veneda, mentionné dans d’anciennes chroniques, qui paraît avoir existé à l’embouchure même de la Loire sur l’Océan, et dont le nom rappelle le peuple des Vénètes, qui occupait la partie méridionale

  1. Plin., IV, XXX, III, 2. Itin. marit. Ed. Parthey et Pinder, 510, 1 ; E. Desjardins, Gaule rom., ch. I, § 3, op. cit.
    Cf. Sioc’han de Kersabiec. Études archéologiques, Corbilon, Samnites, Vénètes. Namnètes, Bretons de la Loire. Nantes, 1868.