Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/653

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inutile qui se faisait autour de lui, les négociations directes avec le vainqueur. Abdul-Hamid avait une foi trop intense dans le caractère sacré de son droit, il se considérait comme trop élevé au-dessus de ses sujets, soit pour attribuer à d’autres une part dans ses actes passés, soit pour immiscer qui que ce fût dans l’élaboration de ses décisions futures. Il n’invoqua ni secours, ni subterfuges. Il avait seul fait la guerre, il devait seul faire la paix. Il la lit, — on sait à quel prix, — mais du moins dans la plénitude de ses prérogatives souveraines. L’étendue de ses territoires pouvait être diminuée, mais non pas l’omnipotence indiscutable qui était l’héritage de sa race.

Le Sultan, le khalife, demeurait intact : mais, en même temps, son action unique et imperturbable attestait qu’il était la seule autorité vivante, et condamnait, par voie de conséquence logique, le factice régime constitutionnel dont tout démontrait l’inutilité.

Cette tentative destinée à émouvoir et à intimider l’Europe n’avait rencontré au dehors qu’un malveillant scepticisme, et au dedans que la prévoyante et dédaigneuse inertie des peuples. Ces institutions devaient d’autant moins survivre aux incidens transitoires qui les avaient fait naître que, dans les circonstances présentes, elles n’étaient plus évidemment qu’un hors-d’œuvre et pouvaient devenir un élément de troubles intérieurs. En réalité, lorsqu’il s’agissait d’actes douloureux et décisifs, les regards se tournaient vers celui qui incarnait exclusivement en lui la majesté et les destins de l’empire. On a dit que le tsar avait réclamé officieusement l’abandon de la constitution : c’est possible ; bien que nulle stipulation n’ait été formulée à cet égard, je croirais volontiers que la Russie, particulièrement antipathique à ces démonstrations libérales, a exprimé sur ce point des sentimens qui n’ont pas rencontré au surplus d’objections ni de regrets. La Porte n’avait en effet plus rien à attendre de ce vain simulacre parlementaire, qui n’était désormais que le souvenir amer d’une stratégie inutile et d’une politique vaincue. La constitution tombait d’elle-même, n’ayant aucune racine ; elle allait rejoindre dans les archives tant d’autres actes oubliés.

Abdul-Hamid ne se hâta point, ayant à s’occuper d’affaires plus graves : les pourparlers et les préliminaires du traité qu’il devenait urgent de conclure. Mais, lorsque ces difficultés capitales furent à peu près réglées, l’inévitable résolution fut prise,