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de ces « rapports » qu’il est toujours facile de faire rédiger, il pouvait exercer cette faculté sur un de ses sujets, si haut placé qu’il fût. Midhat se croyait hors d’atteinte par son rang, il ne supposait pas avoir jamais rien à craindre d’une police qu’il dirigeait et dont les relations ne devaient parvenir au palais que par son entremise : il ignorait la surveillance occulte dont il était environné par les agens personnels d’un maître ombrageux, indigné, résolu, de jour en jour plus aigri par la conduite de son ministre et par ses propres soupçons, et qui se préparait à lui démontrer, aussi bien qu’à ses peuples et au monde entier, combien, dans la pensée du descendant de Mahomet II et de Soliman, un grand vizir est peu de chose.

Comme, après tout, il est presque impossible que, même dans une enceinte aussi bien gardée que la résidence impériale, il ne transpire au dehors quelques rumeurs indécises, on parlait dans Constantinople de conflits, de dissentimens ministériels, de nuages qui circulaient dans les hautes régions. On racontait, comme un fâcheux indice, que Midhat n’avait point paru à la Porte depuis vingt-quatre heures, et l’on échangeait des commentaires. Si incertains que fussent ces symptômes, j’y avais fait discrètement allusion dans un récent entretien avec Safvet-Pacha : celui-ci, soit qu’il dissimulât son anxiété, soit, — ce qui est fort possible, — qu’il ignorât ce qui se tramait au sérail, avait attribué l’absence du grand vizir à une indisposition passagère, et avait traité les discours de la ville de « propos en l’air. » En réalité, un seul fait, — encore bien insignifiant en lui-même, — aurait pu émouvoir avec quelque raison les habitans des yalis riverains du Bosphore : dans la nuit du 4 au 5 février 1877, le yacht impérial, l’Izeddin, pour un motif inconnu, s’était rangé et se maintenait sous vapeur à quelque distance de la longue terrasse de marbre qui s’étend devant le palais de Dolma-Bagtché.

Ce petit incident avait en effet un sens ; il était le prologue d’un drame, et il devait en outre en assurer le dénoûment. En même temps que l’Izeddin demeurait prêt à recevoir et à exécuter les ordres qui lui seraient transmis, à l’intérieur du palais, où Abdul-Hamid venait de prendre une décision suprême, tout se disposait silencieusement pour l’accomplir. Le 5, dans la matinée, les confidens du prince étaient à leur poste, et un aide de camp était chargé d’apporter à Midhat-Pacha l’invitation de se rendre auprès du Sultan. Cette communication, conçue dans la forme