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gendarmerie ottomane, enfin à une clause suprême qui soumettait la nomination des valis de Bosnie et de Bulgarie à l’assentiment des Puissances, et encore pour la première fois seulement. Il était impossible d’aller au-delà sans anéantir complètement tout ce qu’on avait fait, tout ce qui était la raison d’être de la Conférence. L’ambassadeur russe ne résistait que pour la forme ; bientôt même sa complaisance parut inépuisable : « Cela va trop bien ! » me disait M. de Bourgoing en hochant la tête. Il avait raison : le général Ignatiew se donnait à peu de frais des apparences conciliantes ; il savait bien qu’après tout, et quoi qu’on fît, il y aurait toujours, au fond de l’affaire, d’abord quelques articles qu’il faudrait maintenir pour sauver la dignité de l’Europe, ensuite et surtout le principe même de l’ingérence que les Turcs étaient résolus à ne pas accepter. Vainement, comme les navigateurs en détresse, on jetait la cargaison à la mer : c’était le vaisseau même dont la Porte voulait le naufrage. Aussi les ministres ottomans, peu touchés de toutes ces concessions qui prouvaient le désarroi de leurs adversaires, persévéraient-ils dans leurs dénégations, et lorsque enfin on leur demanda : » Mais alors, quelles garanties offrez-vous aux Puissances ? » ils répondirent fièrement et avec fermeté : « Seulement des garanties morales, le temps et les lois ! » En outre, pour donner plus de force et de retentissement à son opposition décisive, la Porte convoqua un Grand Conseil composé de tous les hauts fonctionnaires, musulmans et chrétiens, laïques et ecclésiastiques. La séance de cette assemblée extraordinaire fut extrêmement agitée. On y entendit des discours passionnés et des protestations ardentes. Une foule tumultueuse manifestait au dehors le même enthousiasme, et les assistans proclamèrent à l’unanimité leur volonté absolue de préserver, au prix de tous les sacrifices, l’indépendance et la dignité de la patrie. Le dénouement était désormais certain.

Les plénipotentiaires, après avoir posé à leurs collègues turcs, par l’organe de lord Salisbury, une série de questions précises sur les quelques points maintenus dans leur programme en ruine, — notamment la commission consulaire et le mode de nomination des valis, — n’obtinrent à chaque interrogation que de laconiques refus. Il n’y avait plus de discussion possible, et, dès le lendemain, les ministres des Puissances posèrent leur ultimatum. Ce fut une scène très émouvante : tour à tour, chacun d’eux, se levant, déclara, en termes à peu près identiques, que, si