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principes fondamentaux étaient inconciliables : les plénipotentiaires des Puissances ne pouvaient transiger sur la légitimité de leur intervention ; la Porte n’en admettait aucune, quelle qu’elle fût et sous quelque forme qu’elle vînt à se produire. C’était là le nœud de la question, et les détails disparaissaient devant cette contradiction inéluctable.

Cependant les ambassadeurs qui, sans se faire, je crois, beaucoup d’illusions, souhaitaient, pour la plupart, la paix avec ardeur, se flattant d’ailleurs qu’au dernier moment la perspective d’une rupture effraierait la Turquie, se réunirent chez leur doyen le général Ignatiew, et, sans paraître se préoccuper du travail parallèle qui s’accomplissait à la Porte sous la direction du grand vizir, procédèrent dans neuf séances consécutives à l’étude et à la rédaction de plusieurs notes et mémoires qui développaient tout un plan de réorganisation administrative et judiciaire pour les provinces de Bosnie, d’Herzégovine et de Bulgarie. Quand ces documens furent achevés, ils déclarèrent à la Porte qu’ils étaient prêts à entrer avec elle en Conférence plénière.


III

Il convient de reconnaître que les diplomates choisis par les divers Cabinets pour cette délicate entreprise étaient dignes de toute la confiance de leurs gouvernemens. Le général Ignatiew représentait seul la Russie ; il venait de recevoir, dans un récent voyage à Saint-Pétersbourg, les instructions directes de son souverain ; il connaissait d’ailleurs à fond la question, étant depuis dix ans ambassadeur à Constantinople. C’était un homme d’Etat rompu aux affaires, merveilleusement actif, habile et attrayant, et dont la stratégie ferme et gracieuse, subtile et ondoyante, s’avançait toujours avec autant de souplesse que de précision vers le but qu’elle s’était fixé. Sa dialectique familière et savante enchevêtrait les concessions et les exigences comme les fils divers, mais serrés, d’un tissu solide ; il servait sa cause avec un patriotisme éprouvé, une conviction intrépide et les ressources multiples de son énergique et brillant esprit. L’Allemagne n’avait également qu’un plénipotentiaire, son ambassadeur auprès du Sultan, le baron Werther. Ce diplomate de haute expérience avait eu, au cours de ses missions précédentes, à Copenhague, à Vienne et à Paris, l’étrange fortune d’y être accrédité aux grandes époques