Constantinople, aigri de longue date par les prétentions tutélaires de l’Europe, je veux parler du désir ardent de repousser l’ingérence étrangère. Cette volonté était la note caractéristique de la situation : au palais, à la Porte, dans les mosquées, partout où l’on s’occupait des affaires publiques, elle se manifestait avec une intense activité. Midhat et ses amis s’en étaient faits les représentans, et l’on attendait de leur initiative la satisfaction réclamée par l’orgueil national. Les chrétiens, qui redoutaient d’être suspects, se montraient, à cet égard, non moins patriotes que les Musulmans. La nouvelle d’une prochaine Conférence surexcita encore cette opinion unanime, et les théories constitutionnelles, déjà par elles-mêmes accueillies avec une certaine faveur, furent envisagées dans les régions du pouvoir comme un instrument de résistance, imprévu, mais efficace, contre une intervention blessante. Combattre les réformes que patronnerait l’Europe par une évolution d’apparence plus libérale encore, parut aux conseillers de la Couronne, surtout à Midhat et à ses partisans, une tactique d’autant plus ingénieuse qu’elle les amenait logiquement à l’exercice du pouvoir et donnait à leur système le caractère d’une politique indépendante, conforme à la dignité du pays et du prince.
Deux faits qui se produisirent alors attestèrent aux yeux des Turcs l’urgence de réagir à la fois contre les tentatives de la Russie et contre les Cabinets coalisés.
Le premier fut l’ultimatum de Saint-Pétersbourg, imposant la conclusion immédiate de la paix avec la Serbie et arrêtant ainsi la marche victorieuse de l’armée ottomane sur Belgrade. Sommée de céder et de perdre ainsi les avantages qu’elle était en droit d’attendre de ses succès militaires, la Turquie n’avait reculé qu’en frémissant ; elle voyait avec une juste inquiétude la Russie accroître, par ce coup hardi, son influence dans les provinces slaves et, pour ainsi dire, couvrir de sa protection impérieuse les entreprises insurrectionnelles des vilayets danubiens et balkaniques. La Porte souhaitait donc ardemment prendre sa revanche en affirmant son autorité d’une façon éclatante, au moins dans son administration intérieure.
Un second fait, d’une importance inférieure sans doute et qui lui parut toutefois très significatif, provoqua au plus haut degré sa susceptibilité et ses défiances : ce fut la résolution prise par les Puissances de se concerter au préalable, à Constantinople même, en dehors des plénipotentiaires turcs, sur le programme des