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esthétique, et il est à prévoir que les siècles futurs ne nous loueront point en cela.

Qu’une section géométrique de cylindre, circonscrite à sa base, à angle droit, par un rebord de médiocre dimension, ait été imaginée par l’élite des peuples civilisés comme la plus congruente chose à porter sur la tête ; qu’elle soit le signe indélébile de la dignité bourgeoise et de la bonne tenue, dans les deux villes les plus avancées de l’Occident : Paris et Londres ; qu’en ces deux villes, et en toutes les autres, les personnes mêmes qui ne font pas un constant usage de ce couvre-chef, ne manquent jamais de l’arborer lors des cérémonies importantes de leur vie, et qu’une pareille coutume ait pu se maintenir depuis cent ans, voilà qui doit à jamais nous empêcher de sourire des modes les plus burlesques du passé.

Le chapeau de peluche de soie, d’origine italienne, apparut vers 1820, monté sur carton. L’Angleterre le perfectionna ; mais ce fut la France qui eut la gloire d’inventer, en 1854, la carcasse, — la « galette, » en langue technique, — de toile, apprêtée à la Comme laque, que nous possédons aujourd’hui. Fière de ses succès et consciente de sa valeur, la corporation chapelière déploya des prétentions grandissantes, qui aboutirent à une grève mémorable, vers la fin du second Empire. Vainqueur, le syndicat ouvrier imposa aux patrons battus des lois, sous lesquelles il les tient encore, lois calquées sur celles de l’ancien régime, étrange résurrection du passé : nul maître n’a le droit de former plus d’un apprenti tous les trois ans et ne peut lui faire enseigner son métier que par un homme travaillant aux pièces et payé par l’apprenti. Seulement les salariés, par leur triomphe, ruinèrent alors leur industrie au profit de l’étranger.

Il se manifeste d’ailleurs à l’égard du chapeau de soie certains symptômes de désaffection. Sa consommation est positivement en décroissance. Quatre fabriques de peluche suffisent depuis quelques années à alimenter l’univers. Serions-nous, hommes d’un siècle nouveau, à la veille de changer de coiffure ?


VII

Le lapin, dont le poil, après avoir remplacé celui du castor, est à son tour, comme je l’ai dit au commencement de cet article, concurrencé dans les chapeaux communs par les laines du