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L’ouvrière, toujours appliquée à la même besogne, acquiert une habileté de main, une virtuosité prodigieuse. Chaque mois, il surgit à Paris un produit, une méthode, une amélioration nouvelle, et il se trouve qu’au bout de l’année toutes ces petites innovations réunies ont fait faire à cette industrie beaucoup de progrès. Dans de vastes établissemens, l’attention se disperserait forcément sur une foule d’objets ; des difficultés matérielles s’opposeraient à ce qu’on introduisît dans la main-d’œuvre les mille changemens imperceptibles qu’on y apporte au jour le jour. Ce perpétuel renouvellement est impraticable, par exemple, dans les usines florifères d’Allemagne.

Le soin qu’exige la fleur de tout premier ordre est d’ailleurs incroyable : les nervures s’y tracent à la main, avec un fer ou une plume d’oie qui donne le ton plus clair ou plus foncé. S’agit-il de copier une grappe de lilas naturel composée d’environ 200 pétales, on en prendra, pour faire la grappe artificielle, 400, que l’on collera deux par deux l’un sur l’autre ; de sorte que, dans la fleur apocryphe, comme dans le lilas authentique, chaque pétale a sa face et son revers différens, qui ne risquent pas de s’imprégner des nuances l’un de l’autre à la teinture.

La coloration à l’alcool, transparente, fragile, de ces produits de grand luxe, exige des précautions minutieuses ; entre Paris et Londres, des liserons ou « belles de jour » passèrent du bleu au vert, par suite d’un emballage défectueux. Des roses du plus beau rouge deviennent blanches en quelques heures, dans un local fraîchement peint, par la seule évaporation de la térébenthine. Même l’ouvrière affligée d’une mauvaise haleine, ou qui mangerait habituellement de l’ail, aurait une influence néfaste sur la tonalité des parures ou des guirlandes qu’elle doit manipuler. De ces fleurs aristocratiques, à l’enfantement desquelles préside une telle sollicitude, au peuple des humbles fleurs qu’engendre un machinisme économique, il y a tout l’écart de la rose des riches à la rose des pauvres, de la rose de 10 francs à la rose de 0 fr. 25.

Mais ce sont toujours des roses, et ces simulacres de fleurs, qui vont et viennent au long des rues, suffisent à égayer le regard. On n’en peut dire autant des chapeaux du sexe mâle qui, par leur imitation des noirs conduits de fumée en tôle, ont mérité du vulgaire le nom de « tuyaux de poêle. » C’est, à coup sûr, l’une des inventions les moins heureuses au point de vue