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l’isolement le plus complet, l’Angleterre serait à même de faire face à tout le monde ? A coup sûr, en homme d’Etat prévoyant, lord Salisbury, avant de s’engager dans cette grande guerre, a sagement tâché de s’arranger avec la Russie en Chine, avec l’Allemagne en Afrique et dans les îles de Samoa, et avec la France dans l’Afrique du Nord : il a voulu faire table rase des questions pendantes qui pourraient l’embarrasser, et il savait en outre que l’Exposition prochaine entraverait toute action immédiate de la part de la France. Néanmoins, les points sensibles ne manquent pas. En Chine, en Afghanistan, en Perse, en Égypte, partout, il y a collision d’intérêts. Dans tous les coins de la terre, les combustibles sont entassés. La moindre étincelle peut faire éclater la conflagration qui nous menace depuis 1870. De là ces projets d’alliance qui sont dans l’air et qui incontestablement ont tous tendance à converger contre cette puissance insulaire, qui, dans sa suffisance, a froissé les sympathies de toutes les nations sans en gagner aucune.

Mais supposez que l’Angleterre surmonte toutes ces difficultés, que son sang-froid sache éviter tous ces écueils, que la conscience morale ne s’éveille pas, et que le tax-payer ne se lasse point de jeter chaque fois une partie plus considérable de ses économies dans ce gouffre insatiable du Sud-Africain, alors même l’Angleterre ne serait pas au bout de ses peines. Derrière elle, en Afrique, elle aurait semé les graines d’une rancune sourde, d’une répugnance indicible, d’une haine de race indestructible, et ces graines pousseraient. La résolution des Boers est inébranlable. Jamais ils ne seront les sujets volontaires de l’Angleterre. Subjugués par la force brutale, chaque matin et chaque soir, leurs prières monteraient vers le Dieu de leurs pères pour implorer la délivrance d’un joug qu’ils persisteraient à maudire en leur cœur. A la première chance qui s’offrirait, ils reprendraient la lutte. A la première guerre qui s’abattrait sur l’Angleterre, ils seraient les alliés dévoués de son ennemi. Lisez et relisez leur manifeste : Un Siècle d’Injustice, et chaque ligne vous convaincra que leur ténacité ne se laissera jamais dompter.

Voilà la plaie dont l’Angleterre, si elle ne se repent, saignera pendant tout un siècle. Pour venir à bout des Boers par la force brutale du nombre, il lui faudrait les extirper et les faire disparaître de la face de la terre. Alors, oui, le Sud-Africain serait aux Anglais seuls… et aux nègres. Mais, puisque rien que l’idée