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Surtout, pénétrez-vous de la fidélité fraternelle des hommes de l’Etat libre pour leur éminent Président, M. Steyn. Ils auraient pu se tenir à l’écart. La querelle anglaise avec le Transvaal ne les regardait pas. Au point de vue humain, leur non-intervention eût pu se justifier. Mais non ; ils n’ont point voulu. Ils se sont dit qu’en bons chrétiens, ils iraient au secours de leurs frères menacés, et toute la population mâle a quitté la patrie, pour faire face à l’invasion anglaise. Caïn aurait demandé : Suis-je le gardien de mon frère ? Eux, ils risquent, pour leurs frères, leur vie et la vie de leurs enfans. Exemple unique en notre siècle, comme l’a remarqué un journal suisse, d’une fidélité désintéressée, d’un sacrifice que rien ne surpasse, pour le maintien de la justice ! Prenez la balance, mettez dans le plateau de droite l’héroïsme tout chrétien de ces Boers, et dans le plateau de gauche les intrigues du capitalisme, la forfanterie des Impérialistes, et l’égarement de ces chrétiens méthodistes. De quel côté la balance penchera-t-elle ? Et, pour conclure, de savoir que ces chrétiens anglais sont des gens sincères et sérieux, et que ce noble peuple anglais maudirait tous ces projets d’iniquité si le bandeau lui tombait des yeux ; mais de voir comment les jingoës serrent ce bandeau de plus en plus, n’est-ce pas une réalité navrante, qui se tourne en une tragédie affreuse ? Une tragédie à laquelle, nous autres, spectateurs désintéressés, nous assistons avec une douleur et une humiliation profondes.


XII

Quel sera le dénouement de cette tragédie ?

Ici je m’abstiens scrupuleusement de toute conjecture sur l’issue de l’action militaire engagée. Nul ne saurait la pronostiquer. Elle dépend d’occurrences tellement fortuites, d’éventualités à un tel degré incertaines, qu’elle échappe à toute prédiction, même du plus avisé. Tout ce qu’on est en mesure de constater c’est que, si l’Angleterre ne se reprend pas, la lutte sera acharnée, sanglante et longue. Livrées à leurs seules forces, les deux républiques ne sauraient se mesurer avec la puissance de l’Angleterre, secondée par ses auxiliaires du Canada et de l’Australie. Les Boers tous ensemble auraient de la peine à remplir un seul quartier de Londres. Si l’éléphant met tout en jeu pour acculer le bouc qui le gêne, pour le piétiner et pour le lancer en l’air, il aura