les pertes que les descendans des héros du Teutoburgerwald ont fait subir à sa garde. Eh bien ! cet impérialisme est une obsession. Il s’insinue dans les entrailles de la nation, du moment que le dernier adversaire qui la gênait plie sous ses coups, ouvrant ainsi toute voie de terre à l’aigle de son armée, comme autrefois pour Rome, ou toute route de mer au pavillon de sa flotte, comme pour l’Angleterre après Trafalgar. Tant que le dernier adversaire résiste encore, il sera toujours, malgré vous, l’allié de votre conscience, qui, par les forces dont il dispose, vous contraint au respect du droit. Mais, une fois le dernier rival réduit à merci, votre amour du droit reste seul et, sans aucun appui du dehors, il doit se suffire à lui-même. Si donc, en ce moment psychologique, la conscience de la nation se trahit elle-même, le danger est là, pour elle, qu’elle aille se précipiter de l’idéalisme le plus haut dans le cynisme le plus vulgaire. Plus forte sur terre ou sur mer que toute autre nation, et même que toutes les autres nations ensemble, sa puissance illimitée lui suggère inconsciemment le rêve de la toute-puissance, et c’est l’histoire de Tyr qui peut se répéter, quand Dieu l’apostropha par la voix d’Ezéchiel : « Tu as multiplié ta puissance ; tu as assemblé de l’or et de l’argent dans tes trésors ; puis ton cœur s’est enorgueilli comme si tu étais un Dieu ; à cause de cela, je te livrerai à la main de celui qui te blessera mortellement[1]. »
Cet impérialisme, d’ailleurs, submerge de plus en plus l’idée nationale sous une conception œcuménique, et, en revanche, il tâche d’assimiler tout le monde à son type national. Il permet, il encourage même tout mouvement social jusqu’à la périphérie la plus éloignée, pourvu qu’il en reste le centre, Urbi et orbi devient l’intitulé tacite de ses décisions, et, chaque fois que sa suprématie risque d’être contestée, la persuasion machiavélique du salus reipublicæ suprema lex esto ! étouffe dans la masse de la nation ses aspirations les plus saintes. Lord George Hamilton n’a pas craint de vanter le patriotisme de ceux qui firent avorter l’enquête Jameson : « parce qu’ils avaient agi comme le font toujours les Anglais, quand des intérêts anglais sont en cause[2]. » En d’autres termes : parce qu’ils avaient sacrifié le droit au salut de leur patrie ! Cet impérialisme se glisse, inaperçu comme un streptocoque, dans le sang de la foule, l’empoisonne, et fait fléchir sa