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préjugés coloniaux, et une fois encore, comme en 1852-1854, le soleil de la paix sourit à l’Afrique du Sud.

Mais le Jingoïsme ne désarma pas, et rencontra bientôt un fidèle allié dans le capitalisme des Rhodes, des Beits et des Barnato’s. La découverte des mines d’or fut annoncée. Une bande d’aventuriers s’abattit sur le Rand, et Johannesburg devint le centre de l’opposition au gouvernement de Pretoria. Il se forma en 1892 un comité révolutionnaire sous le nom de National Union. Plus tard se présentait le South-Africa legion. Se retirer d’un État pauvre, passe encore ! mais laisser aux Boers les trésors inouïs du Rand, ce serait de la folie pure. Déjà le docteur Jameson prépare son raid à Mafeking sous la protection du ministre du Cap et, en 1895, il l’opère. M. Chamberlain lui-même n’a jamais pu se laver d’une certaine complicité[1]. Et quoique les Boers aient eu bientôt raison des envahisseurs, que l’Empereur allemand ait lancé sa fameuse dépêche, et que le monde entier ait retenti de louanges sur la clémence du Transvaal envers ses pires ennemis, le président Krüger avait trop de fine expérience pour ne pas sentir que la perte du Transvaal était jurée décidément à Londres. L’indemnité de deux millions impayée ; les coupables acquittés après une détention passagère ; Rhodes maintenu comme membre du Privy Council ; l’enquête parlementaire arrêtée dans sa force, au moment même où les pièces décisives devaient être produites : tout cela ne lui laissait aucun doute, il était sûr que le projet ainsi tramé ne serait pas abandonné. Et pendant que, de son côté, M. Krüger, en homme d’État prévoyant, commençait à augmenter son artillerie, à s’approvisionner de munitions de toute espèce, et concluait, le 17 mars 1897, son traité d’alliance avec l’Etat libre, M. Chamberlain ouvrait de propos délibéré ses négociations criminelles, lesquelles ont abouti à la guerre actuelle.

Je crois qu’il a été sincère quand, le 18 octobre, il a déclaré, au Lower-House, qu’il n’a pas cherché la guerre. La menace de la guerre lui eût sans doute suffi ; et, si M. Krüger se fût laissé intimider jusqu’à accepter toutes ses exigences, la paix lui aurait paru préférable. Seulement le but qu’il poursuivait était clair comme le jour. Par sa menace d’une occupation militaire, il a voulu contraindre le Transvaal à se faire dicter par les bureaux de Downing-street les conditions de naturalisation et de droit

  1. Voyez les dépêches publiées par l’Indépendance belge du 6 janvier 1900.