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population contre l’administration qu’il a remplacée, et fera-t-il de son mieux pour se concilier les esprits par des remèdes efficaces. L’Angleterre, plus qu’aucune autre nation, aurait dû suivre cette leçon de sagesse gouvernementale ; car elle ne pouvait pas ne pas savoir qu’elle aurait à franchir parmi ces colons d’une nationalité rivale un défilé très difficile. Elle n’en fit rien. Tout au contraire, avec une suffisance hautaine, et forte de sa puissance alors incontestée, elle froissa, elle blessa, dès le début, les Boers dans leur religion, dans leur sentiment d’honneur, et dans leurs intérêts, et tout cela d’une manière presque tracassière. Purvis l’a reconnu franchement : « L’histoire de la domination anglaise dans l’Afrique du Sud n’est qu’une série de fautes et de maladresses, qui résultent des préjugés et de l’ignorance de notre gouvernement[1]. » Et M. Froude, dans ses Lectures, n’hésite pas à dire : « Nous sommes tout simplement en train de récolter ce que soixante-dix ans d’erreurs ont semé[2]. »

Dans leur impuissance à bien observer, les Anglais se sont repliés sur eux-mêmes ; et ils ont cru qu’en essayant d’angliciser le plus vite possible les vieux colons, ils devenaient éminemment leurs bienfaiteurs. Dès le 1er janvier 1825, onze ans après la prise de possession officielle, un décret impérial leur enlevait, à partir de l’an 1828, l’usage de leur langue maternelle dans les cours de justice et dans la vie politique. Il ne se pouvait guère concevoir de mesure plus irritante. D’un coup, les Boers se voyaient exclus des jurys et privés de siéger dans les municipalités. Dorénavant ils étaient inéligibles comme juges, ils se voyaient obligés d’avoir recours à des avocats anglais ; et la traduction de toute pièce, ainsi que l’emploi d’interprètes, exigeait des dépenses notables. On se sentait exilé dans son propre pays, et déchu de toute participation à la vie publique. Même quand le parlement fut institué, en 1852, le même régime persista, et l’acte du 3 avril stipulait : « Tous les débats auront lieu en anglais. » Ce ne fut qu’en 1882 que l’article 2 de l’acte du 25 mai rendit aux colons l’usage du hollandais[3].

À cette première injure vint s’ajouter bientôt une liste interminable d’autres griefs. Un missionnaire anglais, le docteur van der

  1. P. 6.
  2. P. 4.
  3. Pour les cours de justice, l’usage du hollandais ne fut restitué qu’en 1884. Voir l’acte du 25 juillet, n° 21 : art. Ier.