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dû rester celle de tous. C’est d’ailleurs là un mal qui n’est pas exclusivement français : ne voyons-nous pas en Angleterre l’abus qu’on fait en ce moment d’un autre mot, celui d’impérialisme ? Et certes, tous les Anglais ont raison d’être impérialistes, s’ils entendent par-là que l’empire britannique doit rester fort, puissant, inattaquable sur toute la surface du globe, et même qu’il doit s’étendre encore avec prudence et avec mesure. Nous sommes, nous aussi, impérialistes dans ce sens. Mais les meilleures choses se dénaturent lorsqu’on les pousse à l’extrême, et les Anglais en font aujourd’hui la triste expérience. Un parti, chez eux, a fait de l’impérialisme un moyen d’agitation à l’intérieur, un moyen d’action incessante sur l’opinion publique, enfin un moyen de domination au dehors et au dedans. Les autres partis, à leur tour, émus du succès de cette entreprise de popularité, se sont mis à surenchérir d’impérialisme, comme on paraît être tenté quelquefois chez nous de surenchérir de nationalisme : on voit ce qui en est résulté pour l’Angleterre.

Comment, dit-on, serait-il possible d’être trop impérialiste ? ou trop nationaliste ? L’excès d’une vertu peut-il être dangereux ? A la pratique, on s’aperçoit que oui. On a vu nos voisins devenir de plus en plus susceptibles, irritables, ombrageux, et aussi de plus en plus avides d’étendre leur souveraineté sur de nouveaux territoires, aujourd’hui sur toute l’Afrique orientale, demain sur toute l’Asie centrale. L’opinion surexcitée et dévoyée n’admettait aucun avertissement, même amical, aucun conseil, même bienveillant. Elle a fermé la bouche et enlevé la plume à ceux qui voulaient les donner. L’impérialisme, ainsi compris et pratiqué, a précipité l’Angleterre dans les difficultés où elle se débat aujourd’hui, et où elle laissera, quoi qu’il arrive, une partie de son prestige. C’est là un exemple instructif. Le nationalisme pour le parti qui en a fait tout son programme, n’est ni plus circonspect, ni plus sensé que le mauvais impérialisme anglais dont nous venons de parler. Son action ne consiste pas seulement à veiller sur l’honneur de la France avec une inquiétude jalouse, mais à grossir les incidens où cet honneur a pu courir certains risques, à les présenter sous un jour faux, à en exagérer les proportions et encore plus les conséquences, à produire enfin et à entretenir par-là dans l’esprit national une irritation constante, une impatience de revanches, une soif de compensations insatiables et immédiates. On dirait, à entendre ces nationalistes français, comme aussi bien les impérialistes anglais, que les droits de la France s’étendent sur le monde entier, et qu’une autre nation ne saurait y faire quelque chose sans que nos intérêts