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de décisions juridiquement regrettables, de l’exposer à quelque ridicule, de rendre désormais le recours à son autorité plus difficile et peut-être même avant longtemps impossible, le tout pour faire condamner au bannissement M. Buffet et M. Déroulède ? Si encore leur culpabilité était ressortie des débats avec une clarté telle que tout le monde en fût ébloui, on pourrait dire que ce procès n’a pas été absolument en pure perte. Mais en a-t-il été ainsi ? Nous serons tout à fait franc en ce qui concerne le parti royaliste, dont M. Buffet est un des directeurs attitrés : ce parti est fort mal dirigé. Il l’était à coup sûr beaucoup plus sagement il y a quelques années, lorsqu’il avait à sa tête un autre prince et que ce prince avait d’autres conseillers. Les préoccupations qui l’inspiraient étaient alors plus élevées. Le procès a montré qu’il y avait parmi les royalistes d’aujourd’hui beaucoup plus d’agitation désordonnée que de réflexion et de sagesse. Si on a voulu faire cette constatation, elle est faite ; mais il faut en conclure qu’un parti ainsi conduit est dangereux surtout pour lui-même, et beaucoup moins pour le gouvernement qu’il se propose de renverser. Pour ce qui est de M. Déroulède, qu’on avait d’abord accusé, contre toute vraisemblance, d’avoir conspiré avec les royalistes, qu’a-t-il fait ? Il a mis la main sur la bride du cheval d’un général, et s’est efforcé d’attirer cheval et cavalier d’un certain côté. Nous ne disons pas qu’un tel fait soit sans gravité. On peut soutenir qu’il y a là un commencement d’attentat. Mais l’acte de M. Déroulède, de quelque nom juridique qu’il faille le qualifier, avait été soumis à la Cour d’assises de la Seine, et la Cour d’assises en avait acquitté l’auteur. Peut-être ne l’aurait-elle pas fait, si M. Déroulède, par une lenteur calculée du gouvernement de cette époque, n’avait pas été retenu en prison préventive un temps beaucoup plus long que ne l’exigeaient l’instruction et la préparation de sa cause. Le jury a jugé que, s’il y avait eu faute, elle avait été suffisamment expiée. Au reste, nous n’avons pas à expliquer l’arrêt de la Cour d’assises ; il a été rendu souverainement et sans appel ; il y avait chose jugée ; il y avait acquittement, et c’est par un abus qu’on ne saurait trop sévèrement blâmer que M. Déroulède a été traduit devant la Haute Cour, et a été condamné par elle.

Disons ce que nous pensons de M. Déroulède : c’est un homme généreux, mais dangereux, sympathique, mais inquiétant. Il s’est conduit pendant la guerre avec un courage héroïque ; il en est revenu malade, frémissant de douleur, animé d’une espérance inextinguible, et il a exprimé tous ces sentimens dans des vers éloquens. L’âme de la