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Et le danger, en effet, était donné comme immense ! On s’étonnait, non sans indignation, que les ministères antérieurs ne l’eussent pas aperçu. On s’indignait que, sous la pression de quelque terreur secrète, ils n’eussent rien fait pour en préserver la République. Pendant de longues semaines, la presse gouvernementale a dénoncé ces défaillances, qu’elle n’était pas éloignée de taxer de complicité : elle demandait déjà qu’on mit quelques anciens ministres en accusation. Mais, peu à peu, il a fallu relâcher presque tous les suspects sur lesquels la main de la police s’était abattue. Les prisons, trop rapidement remplies, se sont vidées : on ne trouvait rien contre les gens qu’on avait arrêtés, et il s’en est fallu de peu que la conspiration ne finît faute de conspirateurs. Heureusement, M. le procureur général Bernard n’était pas homme à laisser fondre entre ses mains une affaire sur laquelle reposaient de si grandes espérances ministérielles. On ne le lui aurait pas pardonné en haut lieu ; il ne se le serait pas pardonné lui-même. Mais, malgré sa bonne volonté, il n’a pas pu, après l’instruction, retenir plus de quinze accusés, et, après les débats, plus de neuf. En vérité, la montagne avait une fois de plus grondé comme un volcan pour accoucher d’une souris. La Haute Cour a été plus clémente encore que M. le Procureur général, elle n’a condamné que trois accusés. Un tel dénouement ne pouvait pas manquer de produire quelque impression sur la Chambre. Ceux qui avaient cru, dans l’innocence de leur âme, à la vigilance du gouvernement et au péril de la République » devaient singulièrement en rabattre. Bon gré, mal gré, il y a un degré d’évidence auquel la raison, même prévenue, même passionnée, ne peut pas se refuser à se rendre. L’arrêt de la Haute Cour était une déception pour les uns, une désillusion pour les autres, et elle amenait tout le monde à reconnaître que la prudence silencieuse des ministères précédens valait mieux que les éclats tapageurs de celui-ci. Il n’est pas un homme de bon sens qui, en son âme et conscience, ne soit obligé de s’avouer tout bas, s’il ne le dit pas tout haut, que ce procès inconsidéré a fait plus de mal que de bien à la cause qu’il avait la prétention de défendre.

On s’est débarrassé de M. Buffet et de M. Déroulède pour quelque temps, voilà tout. M. Guérin est relativement négligeable, et son cas particulier s’est aggravé, pendant l’aventure du fort Chabrol, d’un certain nombre de délits de droit commun qui ont complètement changé la face de son affaire. Valait-il la peine de faire tant de bruit pour un aussi mince résultat ? Valait-il la peine de réunir la Haute Cour, de fausser son caractère, de l’obliger à. prendre un certain nombre