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ses pièces, Marie-Madeleine, puisse être considérée comme le prototype direct des drames naturalistes de la nouvelle école. Mais, députe quarante ans qu’il est mort, la gloire de son œuvre ne cesse pas de grandir. Les jeunes gens, surtout, le proclament leur maître ; ils se nourrissent de ses drames et de son Journal ; peu s’en faut qu’ils ne l’honorent à l’égal de Gœthe. M. Meyer, cependant, n’ose point parler de Gœthe, à propos de lui : il se borne à le comparer à Richard Wagner. « Tous deux, dit-il, ont donné au mythe une place dominante dans leur doctrine artistique ; tous deux ont créé leurs œuvres d’après leur doctrine, tous deux ont attaché une extrême importance à la forme, pour l’expression vivante de leurs conceptions. Comme Wagner, Hebbel a toujours rêvé de produire de grands « cycles, » des œuvres unies entre elles par le lien d’une « mélodie infinie. » Comme lui, il a été essentiellement un dramaturge, mais préoccupé surtout, dans le drame, de l’élément lyrique. Et, comme Wagner, Hebbel s’est montré, toute sa vie, un génial égoïste, convaincu du droit qu’il avait de sacrifier à sa mission d’artiste tous les devoirs ordinaires de l’humanité. »

« Un dramaturge, mais préoccupé surtout de l’élément lyrique dans le drame : » on ne saurait mieux définir Frédéric Hebbel. Et M. Meyer aurait pu ajouter encore que, de même que Wagner, l’auteur d’Hérode et Marianne et de l’Anneau de Gygès a beau avoir « créé son œuvre d’après sa doctrine ; » si forte était en eux l’inspiration lyrique que c’est elle qui nous touche dans leurs œuvres, bien plus que la doctrine dont elles sont sorties. Quelque opinion que l’on ait sur la place que doit occuper le mythe dans une œuvre d’art, on ne peut s’empêcher d’oublier le mythe, et toutes les théories et tous les programmes, quand on entre dans l’intimité de ces œuvres vivantes. Ainsi l’Anneau de Gygès, par exemple, avec les vérités philosophiques qu’il a pour objet d’exprimer, n’est en somme qu’un grand poème d’amour, de souffrance, et de mort, un poème tout rempli de pensées et d’images qui d’abord semblent étranges, paradoxales, affectées, mais qui finissent par transporter le lecteur dans un monde de rêve, fantastique et charmant. Si M. Meyer n’avait déjà comparé Hebbel à Richard Wagner, volontiers je le comparerais à un autre poète, à l’auteur de Carmosine et des Caprices de Marianne.

Et ce poète nous a laissé une œuvre plus étrange encore, sinon plus poétique, que ses drames : un extraordinaire Journal qui, lui, ne saurait être comparé à rien que je connaisse, bien qu’il fasse songer par endroits aux Confessions de Rousseau, et par endroits aux recueils