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comment on mangeait, comment on s’habillait, de quoi l’on s’occupait, tout cela pour arriver enfin à démontrer que les mêmes caractères se retrouvaient dans les romans, les drames, les comédies de la période ainsi ressuscitée.

Mais cette façon d’entendre la critique a fait son temps, elle aussi. Plus pittoresque, à coup sûr, que l’autre, plus « scientifique, » peut-être, on a dû reconnaître qu’en tout cas elle n’était pas plus sérieuse, et ne répondait guère mieux à l’idéal d’une véritable critique. D’un bout à l’autre de l’Europe, aujourd’hui, l’étude des « milieux » a perdu l’importance prépondérante qu’elle avait encore il y a dix ou quinze ans : ou plutôt elle s’est précisée, restreinte, transformée ; et aucun critique ne s’avise plus, désormais, de chercher dans le régime alimentaire d’un peuple ou d’une époque l’explication des traits originaux de sa littérature. Une méthode nouvelle est en train de se substituer à cette méthode par trop fantaisiste. Et ce qu’est cette méthode nouvelle, je n’ai point à le dire ici, où elle a été tant de fois, et si éloquemment définie. Mais j’ai eu déjà l’occasion de faire voir comment, de proche en proche, elle a pénétré toute la critique littéraire d’à présent, de telle sorte qu’en Russie comme en Angleterre, en Italie comme aux États-Unis, l’occupation dominante des critiques est de marquer les étapes successives de l’évolution des divers genres, en tenant compte à la fois du caractère propre de chacun de ces genres et de l’influence réciproque des genres entre eux.

C’est cette méthode qu’aurait dû suivre M. Richard M. Meyer, s’il avait voulu se mettre au courant de son temps : mais surtout c’est elle qu’il aurait dû suivre, s’il avait voulu nous présenter une histoire à la fois exacte et vivante du développement de la littérature allemande au XIXe siècle. Elle seule lui aurait permis d’établir un lien entre les innombrables notices dont est formé son livre, et un lien logique, naturel, correspondant à l’ordre même des dates et des faits. En mille pages comme en cent, cette méthode lui aurait rendu possible de donner à son récit l’unité d’une véritable « histoire, » où les événemens naissent les uns des autres, où ils s’éclairent, se complètent, se corrigent l’un par l’autre. De Schiller à M. Gérard Hauptmann, de La Motte-Fouqué à Théodore Fontane, de Ranke à Treitschke, nous aurions vu vivre et se développer côte à côte les modes principaux de la pensée aile mande, avec leurs alternatives de romantisme et de réalisme, d’idéalisme et de positivisme. Et sans doute, en fermant le livre, nous aurions oublié bon nombre des noms propres que nous y aurions lus ; mais nous aurions su ce qu’avait été, au XIXe siècle, la littérature