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espérance. Ceux qu’elle a perdus comme lui, hélas ! et celle-là même qu’elle a perdue par lui, elle les oublie ; elle oublie tout pour lui, qui reste seul, mais qui reste ! Incapable de maudire ou seulement de regretter, elle écarte de lui le remords et jusqu’au souvenir ; elle veut goûter avec lui, sans mélange et sans reproche, ce moment de triste douceur. Et tout son cœur se fond, et toute sa tendresse retombe, pour s’y reposer aveuglément, sur l’objet de tant de maux, objet maintenant unique de son unique amour. « Je suis faite pour aimer et non pour haïr. » Le mot est deux fois d’une Grecque, d’une vierge et d’une sœur : l’Antigone de Sophocle l’avait dit, et l’Iphigénie de Gluck l’a chanté.


Ce n’est jamais l’Opéra, le somptueux et misérable Opéra, qui nous donne ou nous rend la joie d’entendre Gluck. Aujourd’hui encore il laisse ce soin, et ce devoir, à l’Opéra-Comique et au très pauvre et très intéressant Théâtre-Lyrique de la Renaissance. L’Orphée de l’Opéra-Comique est une débutante, Mlle Gerville : elle est digne d’encouragement. Mme Raunay, l’Iphigénie du Théâtre-Lyrique, est digne d’admiration. Si le rôle est quelquefois un peu au-dessus de sa voix, il n’est jamais au-dessus ni de son art, ni de son âme. Et, par la beauté de son visage, de ses attitudes et de ses mouvemens, elle en égale aussi la grâce, la noblesse et la mélancolie. Dans les deux théâtres, orchestre et chœurs sont excellons. La mise en scène du Théâtre-Lyrique ne gâte pas Iphigénie ; celle de l’Opéra-Comique ajoute quelque chose, — et ce n’est pas peu dire, — aux splendeurs d’Orphée. Loin de nous détourner de la musique, elle nous y attache, elle nous y unit davantage. Elle en accentue, elle en élargit le sens ou le symbolisme, et, conforme au chef-d’œuvre, elle est un chef-d’œuvre elle-même.


CAMILLE BELLAIGUE.