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ligne, enracinée, à chacune de ses extrémités, à la rive et qui devait barrer complètement la rade, isolant ainsi la Rochelle de la mer comme le mur de circonvallation l’avait isolée de la terre. « Il faisait beau voir, dit avec un juste orgueil Richelieu dans ses Mémoires, tous les travaux en feu. » « Le camp de la Rochelle, rapporte un autre document de l’époque, était le vrai Paris. Tout s’y trouvait à profusion ; et on voyait des personnes de toute condition et de toute qualité se promener dans l’enceinte et venir considérer le miracle de la digue et l’ordre admirable du siège. » L’exécution de cet ouvrage, jusqu’alors sans précédent, n’occasionna aucune difficulté sérieuse tant qu’on put profiter de la basse mer pour en établir les fondations à sec, aux abords mêmes du rivage. Mais à mesure qu’on s’avançait vers le milieu de la baie, les profondeurs augmentèrent, et la mer ne découvrit plus le fond. On dut alors couler des gabares remplies de pierres, puis de véritables vaisseaux ; on en échoua même sur deux étages, et l’ensemble du travail ne coûta pas moins de 5 millions en monnaie du temps.

La digue s’appuyait au Nord sur la côte de Chef de Baie, au Sud à la pointe de Coureilles ; elle avait près de 750 toises de longueur rectiligne, 8 à 10 toises de largeur à la base, 4 toises au sommet, 25 à 30 pieds au-dessus de sa fondation. Sa crête dépassait de 6 pieds le niveau des hautes mers et était armée de puissantes batteries de canon. On avait ménagé au milieu un goulet d’une trentaine de toises ; ce goulet était flanqué de deux musoirs supportant de petits forts, garnis aussi de bouches à feu. La passe enfin était fermée par une palissade flottante de trente-sept navires de 200 à 300 tonneaux, montés chacun par trente hommes, reliés entre eux par des chaînes de fer, armés de deux canons, les proues tournées vers la mer et munies d’éperons qui devaient arrêter les brûlots et ces espèces de mines flottantes qui consistaient en grosses nefs maçonnées à l’intérieur, que l’on accostait contre un quai ou une digue pour les renverser par l’explosion, et qu’on appelait pour cela des « foudroyans. » Trente navires de guerre, munis d’une forte artillerie, mouillaient en outre dans la rade[1].

Cette digue formidable fut considérée comme un véritable

  1. V. dans le Mercure français, t. XIV, an 1628, le plan des travaux du siège. Cf. Mém. de Richelieu, t. 1, passim ; Arcère, Histoire de la Rochelle, op. cit. ; de Beaucé et Thurninger. Notice sur le Port de la Rochelle (Ports maritimes de la France, t. VI).