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graves événemens dont la Rochelle a été le théâtre, on doit reconnaître que cette alliance est restée comme une tache ineffaçable dans l’histoire d’une résistance souvent héroïque, mais qui aurait, sans le génie et la fermeté de Richelieu, rétabli en France l’ennemi séculaire dont on avait eu tant de peine à se débarrasser, qui avait régné en maître sur les plus belles et les plus riches de nos provinces de l’Ouest, et dont les flottes toujours menaçantes croisaient sans cesse en vue de nos côtes dans l’espoir de les reconquérir.

On écrirait des volumes si l'on voulait faire l’histoire des sièges de la Rochelle, qui a joué réellement pendant plusieurs siècles un rôle comparable à celui des plus grandes républiques italiennes : sièges de 1206 et de 1214 par Jean sans Terre, roi d’Angleterre, en guerre contre Philippe-Auguste ; siège de 1224, par le roi Louis VIII ; révolte sous François Ier, provoquée par les excès de la gabelle ; nouveaux soulèvemens en 1568, produits par les mêmes causes ; siège de 1573, par le duc d’Anjou ; siège de 1621, par le comte de Soissons ; siège de 1628, par Richelieu[1]. Ce dernier fut de tous le plus célèbre et le plus dramatique. Le Cardinal le dirigea en personne ; et ce fut pendant plus d’un an un singulier spectacle que donna ce chef d’armée en chapeau rouge, à la fois général, amiral, ingénieur, intendant, comptable, diplomate et administrateur, entouré d’un état-major en mitre et en froc, qui portait l’épée comme lui, et paraissait même quelquefois au cœur de l’action.

Richelieu, fermement résolu à en finir avec les protestans et ne voulant rien laisser à l’imprévu de la guerre, sachant très bien que le fanatisme religieux pouvait pousser les Rochelais aux plus extrêmes résolutions, changea le siège en un véritable blocus. La ville fut cernée du côté de la terre, par un large fossé de circonvallation de 3 lieues de développement, de 10 pieds de profondeur et de 12 de largeur, venant déboucher des deux côtés à l’entrée de la baie. En arrière de ce fossé, on éleva un solide parapet flanqué de treize forts et d’une série de redoutes, le tout muni d’une forte artillerie. Mais le port restait ouvert à la flotte anglaise. Au lieu de l’attaquer et de chercher à le réduire, le Cardinal n’hésita pas à le supprimer ; et les ingénieurs du roi reçurent l’ordre de construire au large une immense digue en droite

  1. Arcère. Histoire de la Rochelle et du Pays d’Aunis, 1756 ; Dupont, Histoire de la Rochelle, 1830.