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Les remparts, couronnés d’ormeaux aujourd’hui séculaires, sont flanqués de formidables bastions percés d’embrasures, précédés de courtines avec leurs redans, leurs demi-lunes, leurs ouvrages avancés, le tout entouré de fossés larges et profonds. L’ensemble présente en plan un contour hexagonal ; mais deux des angles des bastions sont tellement ouverts que l’aspect général est celui d’un carré de 400 mètres environ de côté. De distance en distance, sur les murs, sur les portes, d’énormes écussons portent en relief les armes de Louis XIII et de Richelieu. De petites tourelles polygonales se profilent aux angles des bastions et surplombent élégamment le mur d’escarpe. Sur les talus à l’intérieur et à l’extérieur de l’enceinte et dans les fossés, croît une végétation désordonnée. Sauf une brèche pratiquée dans le bastion central pour pénétrer dans la ville, tous les détails de la fortification sont admirablement conservés.

Mais la ville est à peu près déserte, à moitié ruinée et dans un délabrement lamentable. Elle a 15 hectares de superficie et tout au plus 200 habitans, qui vaguent à peu près oisifs, arrachés à peine d’hier aux fièvres intermittentes, et semblent d’un autre temps et d’un autre monde. Trois ou quatre grandes rues désertes, larges comme nos plus grands boulevards, la traversent, bordées de maisons et de vieux hôtels conservant encore cette noblesse d’apparat et ce caractère architectural du grand siècle, mais presque toutes abandonnées, lézardées, déjetées, ouvertes à tous les vents avec des toitures à demi effondrées, des façades crevassées à peine maintenues par des crampons en fer. Ces maisons, qui sont presque des ruines, ont été de véritables édifices et de grandes demeures : l’hôtel de l’amirauté, l’hôpital, la baronnie des fermes, le siège royal, l’arsenal, les magasins de la marine, etc. Tout est aujourd’hui branlant et disloqué. Au centre, la grande église, dont la nef du milieu seule peut être utilisée, les deux nefs latérales n’étant plus que de misérables hangars mal couverts et dépavés. On y marche sur la terre nue et mouillée. Au milieu de la nef centrale, près de l’autel, quelques larges dalles funéraires, fendues et moisies, portent encore les noms des anciens gouverneurs. L’édifice entier suinte l’eau. C’est la misère et l’abandon.

On a quelquefois dit que le Brouage était l’Aigues-Mortes de la Saintonge. La comparaison n’est juste qu’au point de vue topographique. Les deux villes sont bien en effet toutes deux