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nu s’avançaient régulièrement et marchaient à l’assaut de la plaine comme le front d’une véritable armée en bataille, envahissant tout sous leurs volutes mobiles, forçant les populations à battre en retraite devant un ennemi irréductible et permanent. Le moindre vent faisait tourbillonner au sommet des dunes des nuages de sable semblables à des fumées de volcan ; et longue serait l’énumération des fermes, des églises, des villes même d’une certaine importance qui ont disparu sous une première vague de sable, se découvrant peu à peu d’elles-mêmes après son terrible passage, ensevelies de nouveau par une seconde vague pour s’exhumer encore et réapparaître au jour. Buze, Saint-Palais, le Maine, Gaudin, Guériot ont tour à tour subi ces dures épreuves ; et la plus célèbre de ces villes, plusieurs fois enlizées dans le sable et ressuscitées quelques siècles après, est la cité mystérieuse d’Anchoisne, qui a dû se déplacer plusieurs fois, et dont la dernière et définitive étape est à l’embouchure et sur la rive gauche de la Seudre. C’est aujourd’hui le gros bourg de la Tremblade, dont le nom caractéristique semble rappeler l’extrême mobilité de l’ancien sol.

La mer qui, de son côté, ne cesse de ronger la côte, a peut-être bien elle-même englouti la ville perdue, et il ne serait pas impossible que le long banc sous-marin qui porte le nom de « fond d’Anchoisne » ne recouvrît une partie de la ville disparue. On a même quelquefois soutenu qu’Anchoisne était le fameux port des Santons, le portus Santonum, mentionné par Ptolémée et presque tous les géographes classiques ; mais cette interprétation ne saurait être acceptée qu’avec une très grande réserve ; et il est plus probable que le vieux port des Santons se trouvait sur la rive droite de la Seudre, au Nord même de Marennes, et occupait l’emplacement d’un petit hameau à peu près abandonné, presque ruiné aujourd’hui, l’ancienne ville fortifiée du Brouage, dont les bastions se profilent encore dans toute leur pureté au milieu d’une plaine déserte d’une tristesse infinie.

La marche désastreuse des dunes est aujourd’hui définitivement enrayée. La péninsule d’Arvert est désormais à l’abri de l’invasion des sables, et il suffit d’un simple travail d’entretien pour exploiter des forêts bientôt séculaires et qui donnent, comme celles de Gascogne, un rendement sérieux. Mais l’homme a toujours à lutter contre la mer, et ses efforts ne sont pas partout couronnés de succès. Le terrible Océan est un ennemi dont il est difficile de