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sont contingentes, les lois mathématiques sont nécessaires !

Le progrès d’ailleurs n’a pas la même allure dans ces deux ordres d’idées. La théorie physique progresse souvent par approximations successives. Prenons la loi de Mariotte : « À température constante, une masse gazeuse occupe un volume qui varie en raison inverse de la pression supportée. » C’est un schéma grossier des résultats d’expérience, c’est une première étape. Aussitôt que les mesures sont plus précises, l’on établit des formules nouvelles, serrant de plus en plus près la réalité… sans jamais l’atteindre.

La mathématique a une allure tout autre : par exemple, tous les groupes ne sont pas connus ; certains le sont ; sur d’autres, l’on a des résultats partiels. En mathématiques des résultats partiels sont cependant définitifs.

En chimie, en physique, une théorie nouvelle vient souvent ruiner une théorie ancienne. En mathématiques, l’on abandonne bien quelquefois une théorie ancienne. Rarement, elle était fausse, mais l’on a fait plus simple ou plus large. L’ancien était bon, le nouveau est mieux encore. Victor Hugo, dans son ouvrage sur Shakspeare, a traité longuement de l’art et de la science. À ses yeux la science est essentiellement chose perfectible, l’art est le contraire. « Corneille et Homère sont également parfaits, — dit-il, — tandis qu’Archimède, Galilée, Newton, Cuvier… ont été dépassés. » Le poète illustre ne connaissait point les mathématiques. Assurément elles progresseront sans cesse, mais ce sera plutôt par accroissement que par perfectionnement, ce sera plutôt par l’acquisition d’idées, de méthodes nouvelles, que par l’amélioration des anciennes. Par-là, au point de vue même de Victor Hugo, la mathématique se rapprocherait de l’art. Nous n’insisterons pas sur le degré de certitude des mathématiques. Il n’en est pas de comparable, mais hâtons-nous d’ajouter que le géomètre a perdu en objectivité[1] ce qu’il a gagné en rigueur.

Résumons en quelques mots ces dernières pages. La mathématique est, par essence, ordre, proportion, unité. La mathématique a un caractère plus définitif, plus absolu que toute autre science : la mathématique est belle. À la contempler, l’on éprouve

  1. Voir à ce sujet l’Essai sur les Conditions et les Limites de la Certitude logique. Paris, Alcan, 1894. Cette remarquable thèse de « philosophie » est signée par M. G. Milliaud, agrégé des Sciences mathématiques ; ce qui lui donne, à notre point de vue, une valeur toute particulière.