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imitation plus ou moins parfaite des phénomènes… Mais si l’on en peut imaginer un, on pourra en imaginer une infinité d’autres. » Voilà qui est clair relativement à la valeur absolue des théories physiques[1].

Au lieu de tout cela que voyons-nous en mathématiques ? Après qu’une vérité a été acquise et sans controverse possible, il arrive bien souvent que l’on est parvenu à cette vérité par une voie totalement différente. C’était bien, quelquefois, afin d’abréger un raisonnement lourd, de supprimer des artifices sans élégance (ce mot est constamment employé par les géomètres) ; mais souvent aussi c’était sans utilité immédiate. Pour le lecteur comme pour l’auteur, il y a là plutôt activité de jeu qu’activité de travail !

Et aussi les théories mathématiques ont un caractère plus parfait que les autres théories scientifiques. Citons d’abord, à ce sujet, une page d’un géomètre allemand[2] : « Un aussi remarquable phénomène (le développement historique de l’analyse) pourrait susciter cette opinion idéaliste que l’analyse est une chose préexistante et indépendante de l’existence d’êtres pensans, qui est découverte et étudiée peu à peu comme une nouvelle partie du monde. On pourrait en conclure qu’une seule analyse est possible, de sorte que, si elle était de nouveau à découvrir, elle ne pourrait que réapparaître identique… Mais on peut aussi, au sens empiriste, c’est-à-dire sans admettre la préexistence de la mathématique, se convaincre de la nécessité logique de son contenu actuel. Si l’on songe, en effet, à la foule des penseurs qui, dans la suite des siècles, ont fouillé le sol mathématique, on comprend qu’ils aient tenté de pénétrer dans toutes les parties accessibles à la pensée et que les voies les plus fécondes en résultats aient dû être trouvées. Ce sont les seules que l’on ait poursuivies. Dans une sélection de ce genre, l’investigation humaine a dû nécessairement suivre la voie la plus fructueuse. C’est ainsi qu’une direction lui était tracée.

Ainsi se trouve justifié par l’analyse tout entière ce mot de l’empiriste, que si les habitans de Mars possèdent une analyse, elle doit être identique à la nôtre dans toutes ses parties essentielles. Qui oserait affirmer que Mars possède même physique, même chimie, même biologie que nous ? Les lois de la nature

  1. Et cela ne leur ôte point une très grande valeur relative.
  2. P. du Bois-Reymond, Théorie générale des fonctions, traduction française. Paris, Hermann.