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la manière la plus profonde. » Considérons le phénomène acoustique de résonance : en présence d’une capacité remplie d’air, tel son rendu par un diapason sera renforcé, les autres ne le seront pas. Cette capacité est un résonateur, le diapason qui lui correspond est un excitateur. « Le grand spectacle naturel, l’œuvre d’art, pensions-nous, sont des évocateurs, des excitateurs. L’homme ému est un résonateur. L’homme plus cultivé est celui qui porte en soi des résonateurs plus puissans et en plus grand nombre. »

Nous construisions même dans notre esprit des sortes d’échelles avec les degrés de l’émotion esthétique que l’on éprouve en face des œuvres de la nature ou des hommes :

D’abord la « douce sensation » du coloris ou de la mélodie. Puis l’ « impression plus intelligente » produite par quelque caractère notable et dominateur que l’œuvre d’art avait pour but de manifester.

En haut, la science même de ces impressions nous procure les plus hautes jouissances : des œuvres comme « la Philosophie de l’Art » de M. Taine ou « l’Evolution de la Poésie lyrique » de M. Brunetière, ne sont-elles pas, en un sens, œuvres d’art ?

Plus haut encore, n’y a-t-il pas une forme supérieure de l’art dans la métaphysique, la science de la pensée en elle-même, des choses en soi ?

Redescendons un peu : la mathématique cède le pas à la philosophie pour la généralité, mais l’emporte pour la précision. L’arbre a moins d’ampleur, ses plus hautes branches se perdent moins dans la nuée, ses racines forment un réseau moins vaste, mais aussi l’arbre est peut-être plus robuste, ses fruits arrivent peut-être à plus de maturité et de saveur. Il faut, en ce monde, renoncer à rencontrer tous les avantages en même temps.

Mais nous ne pouvons étudier ici ces diverses formes de l’art, ces divers phénomènes de résonance dont un esprit cultivé peut être le siège, ces formes variées de l’activité de jeu. Considérons exclusivement la mathématique, sauf à dire un mot de quelque autre science lorsque pour juger il faudra comparer.

Examinons en détail ce fait : l’émotion esthétique du géomètre, émotion qui procède de « l’admiration la plus affinée. » Dans l’œuvre mathématique, les idées mises en jeu, les méthodes, les résultats sont d’une ampleur et d’une profondeur merveilleuses. Nous avons montré au début quelques-unes des idées.