Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/377

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ART ET SCIENCE

« Les cimes élevées de la science sont inaccessibles au grand nombre, mais elles ne sont pas toujours entourées de nuages, et les savans les plus illustres, parvenus au terme de leur gloire, peuvent sans s’abaisser se montrer à la foule et s’en faire entendre. Tous ne l’ont pas tenté. Soit dédain, soit impuissance, on a vu de grands génies, satisfaits d’un petit nombre de disciples, laisser au temps le soin de faire fructifier leur œuvre et de la répandre. D’autres, au contraire, non moins grands et en même temps plus humains, n’oublient jamais que la vérité est un bien commun… »

Ce sont les pensées profondes par lesquelles M. Joseph Bertrand ouvrait le discours d’inauguration du monument élevé à la mémoire de François Arago, à Estagel. Combien est belle, en effet, l’allure de ces grands esprits qui, dans la pleine maturité de leur génie, abordent hardiment les plus hautes questions pour les vulgariser, s’élevant sans crainte vers des régions encore inexplorées ! A les voir aussi sûrs d’eux-mêmes, volontiers on comparerait leur audace à celle de ce fils du roi des airs qui s’élance pour la première fois, et sans peur, hors du nid :

Il sait qu’il est aiglon, le vent passe, il le suit !

Telle ne saurait être notre assurance. Vivement impressionné par la grandeur et la beauté du génie humain s’appliquant aux sciences abstraites, nous voudrions, dans ces quelques pages, donner au lecteur une idée, — bien vague forcément et bien incomplète, — du caractère général des mathématiques pures, et cela pour deux raisons. D’abord la vérité est un bien commun et aussi la vérité est souvent fort méconnue. C’est le cas ici : l’on prête, en général, aux mathématiques un aspect qu’elles n’ont point du tout. On les dit presque partout chose froide, desséchante, bizarre