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les bras vers une maison lointaine surmontée d’un belvédère :

— Hé ! me dit-il avec mélancolie, ceux qui sont là-bas voient plus loin que nous ! Les servantes glissaient sur les nattes, le visage et les mains cinglés de coups de fouet bleus. Et les geishas arrivèrent, la tête encapuchonnée d’une étoffe vert d’eau. La plupart s’étaient collé aux tempes de petits taffetas noirs qui les protègent contre les migraines, mais dont elles rehaussent leur beauté, comme nos dames du temps jadis faisaient de leurs mouches. Et voilà qu’en ces pavillons isolés et perdus sous la blanche rafale, les portes des galeries s’ouvrirent, et, de toutes les chambres, la musique des shamisen s’élança boiteuse et sautillante dans le divin tourbillon de la neige. El nous bûmes du saké. Et devant le kakémono de la chambre qui, bien choisi, représentait un coucher de lune sur des monts neigeux, les voix des musiciennes nous chantèrent de courtes chansons en harmonie avec la nature.

Mon Dieu, que la politique était loin ! Seul, Igarashi ne l’oubliait pas, et l’heure du meeting approchait. Il fallut déguerpir. Mikata grelottait. J’étais gelé, et ravi.


Comment nous pénétrâmes dans la salle de la réunion, non, en vérité, je ne saurais le dire. J’ai gardé l’impression d’y être entré par le toit. Ce n’était point l’effet du saké, mais je vous assure que la neige du Japon ne ressemble pas aux autres neiges. Elle parfume et grise. Je nous revois encore à la queue leu leu au bord d’une toiture à demi défoncée ; je revois dans un ciel crayeux la silhouette de M. Kumé, qui cherchait une lucarne où descendre. Bref, je me retrouvai parmi mes compagnons, au fond d’une grange, sur une estrade couverte de paillassons, et devant un public composé de trois cents Japonais, tous accroupis et silencieux.

Deux tables, deux vraies tables, ornaient la scène. L’une était réservée aux orateurs : j’y aperçus un verre d’eau, un vrai verre, un verre à pied, le seul de la ville peut-être. Le commissaire de police et ses acolytes étaient assis à l’autre. Les assistans, figures bornées, à la fois dures et naïves, petits bourgeois de la cité ou propriétaires des environs, tendaient la peau de leur front et fixaient leurs yeux noirs et ternes sur celui qui parlait.

Ce fut d’abord M. Kumé. Il attaqua la politique des clans. Devant ces hommes du Nord vaincus par les gens du Midi et dont