commémorative où les anciens élèves du père de M. Kumé avaient commandé qu’on gravât leur témoignage et l’histoire de sa vie. M. Kumé la contempla et sourit. Son père, samuraï vaincu par la Restauration, retiré dans sa ville, y avait fondé une école. En ce temps-là, les professeurs, n’étant point des fonctionnaires à la merci d’un ministre et mal payés, vivaient respectés de leurs élèves et honorés des familles. Nul n’oubliait que leur main, avant de tenir le pinceau, avait dégainé le sabre. Puis, M. Kumé me montra les tombeaux de ses ancêtres, ceux de son grand-père, de sa grand’mère et de son aïeul. Un petit bonze, enfant de chœur bouddhiste, nous avait rejoints avec un seau d’eau. Il le versa sur les pierres funéraires, et, quand elles furent ainsi purifiées, le valet de chambre tira de sa poche des baguettes odorantes et les alluma devant les tombes. M. Kumé courba la tête ; mais son entourage fumait, causait, semblait se désintéresser de ces rites funèbres.
Chaque fois qu’on rend ses devoirs aux tombeaux de ses parens, l’usage veut qu’on laisse une aumône entre les mains du bonze. Nous redescendîmes vers l’Eglise, simple maison japonaise, temple et habitation du prêtre, au fond du cimetière. Un vieux bonze jaune et décharné, vêtu d’un kimono marron, entr’ouvrit le shogi et s’agenouilla sur la galerie. M. Kumé y posa son front, et leurs deux têtes se frôlèrent longuement. L’Eglise et le cimetière occupaient une terrasse qui, par-dessus le vallon et le lit du torrent, regardait les montagnes. Le site exhalait une tristesse que la teinte grise du ciel exagérait encore, et la bise nous soufflait au visage.
Nous revînmes à la ville par un autre champ de mort : la place boueuse où s’élevait naguère le château féodal. Démoli, rasé, on n’en découvre même plus une pierre. Cependant un furieux cliquetis de bâtons emplissait la solitude, comme si des moissonneurs forcenés se battaient aux fléaux. Le fracas s’échappait d’une bâtisse européenne, du collège. Nous y pénétrâmes : couloirs déserts, pièces vides, un air d’abandon, une physionomie sale et délabrée ; le plâtre des murs tombait déjà par plaques ; mais toute la vie écolière s’était réfugiée dans la salle d’armes qui attenait au bâtiment. Là, tes jeunes Japonais, plastronnes de la légère cuirasse d’autrefois, le kimono retroussé, la tête protégée d’une grille, s’escrimaient des deux mains avec leurs sabres de bois. La sueur leur baignait le visage, et leurs