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maisonnettes sont frêles et pauvres ; de gros galets posés sur les lattes de leur toit empêchent que le vent ne les enlève. Rectangles, losanges et arabesques de culture découpent le flanc des monts, et, plus haut, des arbres en tirailleurs, dont les rameaux fous, le soir, éborgnent la lune, détachent sur la soie limpide et froide du ciel les caprices d’un pinceau trempé d’encre de Chine. Au creux de la vallée, le torrent mort étale ses grèves lumineuses. Çà et là, des portiques ou torils vermoulus conduisent vers une petite masure sacrée. A l’ombre des vieux troncs, des figurines de renards étincellent dans leur ruche de planches. Point de maréchaux-ferrans dont l’enclume retentisse au bord de la route, mais des sculpteurs de dieux qui, pieds nus et bras nus, sur le seuil de leur hangar, polissent avec amour, dans le bois ou la pierre, le sourire de la Kwannon miséricordieuse aux pauvres gens.

A plusieurs reprises, notre défilé s’arrêta. Un campagnard venu en kuruma pour saluer M. Kumé l’attendait au croisement du chemin. M. Kumé descendait de voiture. Le campagnard s’avançait, et, à six ou sept pas de lui, faisait glisser ses mains jusqu’à ses genoux et par trois fois se courbait profondément. M. Kumé l’imitait : tous deux prononçaient en même temps les paroles consacrées, et nous repartions. Si l’ami n’était point d’importance, M. Kumé restait dans son kuruma et se contentait d’incliner la tête.

Ainsi, nous parvînmes à la première étape, devant un cirque montagneux et fermé ; et, comme nous allions nous engager sur le pont du torrent, nous aperçûmes des hommes qui brandissaient des bannières de papier multicolore suspendues à de longs bambous. Ces bannières ressemblaient si parfaitement aux longues affiches dont les abords des théâtres japonais sont pavoises que je crus à des cabotins en voyage. Mais elles célébraient M. Kumé ; elles chantaient sa victoire ; elles promenaient en lettres noires ou rutilantes des phrases extraites de ses déclarations. On pouvait lire sur la plus grande : Le peu que j’ai de cœur rouge appartient à la patrie. Elles nous précédèrent dans le village, et déployèrent une haie triomphale autour de l’auberge qui nous offrit un instant l’hospitalité de son toit croulant et de ses shogis crevés. Igarashi jubilait : « Quel bel accueil reçoit M. Kumé ! » s’écriait-il. On eût dit plus justement : « Quel bel accueil M. Kumé se fait à lui-même ! » Le village n’en ressentait aucune émotion ; les pauvres gens qui passaient devant ces flamboyantes réclames