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même dû emporter les vieux. Et, ce matin, ils sont fatigués. En bas, Igarashi, l’incomparable secrétaire, hâtait le départ.

Nous nous éloignâmes de Mayebashi dans un misérable tramway, dont les rails longeaient la berge du torrent, à travers une plaine plantée de mûriers et peuplée de fermes neuves. L’air glacé et la vue des pierres luisantes et des beaux galets répandus au lit du torrent achevèrent de réveiller mes compagnons. Le tramway traversa une longue passerelle, et nous en descendîmes à la porte d’un bourg où étaient massés une quarantaine de kurumas.

On pénétra dans la cour d’une maison de thé. M. Kumé s’assit sur le seuil en estrade, les bras et les jambes écartés, les mains aux genoux, pendant que les gens du cortège debout se tenaient à distance. Il ressemblait de plus en plus au Shogun de Méiji-za. Derrière lui, les cloisons des chambres ouvertes, pareilles à des praticables de théâtre, représentaient des pins tordus et des oies sauvages. Et l’on y voyait aussi des maximes en gros caractères chinois que personne ne comprend, mais dont le fin et le délié ont une souplesse et une netteté qui réjouissent les yeux comme une peinture. A quelques pas plus loin, dans une petite niche à peine plus haute qu’une boîte à cirage, quatre renards en porcelaine, assis sur leur arrière-train et les pattes de devant repliées, dardaient leurs museaux pointus parmi les bandelettes de papier qu’on avait suspendues à leur sanctuaire. Les paysans vénèrent et redoutent cet animal fertile en sortilèges et en métamorphoses. Le Député moderne les regarda, me regarda, et se prit à rire.

Enfin, les kurumas s’organisèrent. M. Kumé tendit ses pieds à ses deux valets, qui le chaussèrent de bottes fourrées, et gagna sa voiture. Nous le suivîmes, et bientôt nos quarante véhicules remontèrent à la file indienne le bourg escarpé et dévalèrent dans un sentier à pic. Nos kurumayas courront ainsi pendant plus de quatre heures sans autre repos qu’une seule halte, d’un pas de gymnastique qu’accélèrent ou ralentissent leurs cris rauques. A mesure que nous avançons, la vallée du torrent se rétrécit et s’encaisse entre d’âpres collines. La vie humaine y est partout nichée. Villages et hameaux s’accrochent aux anfractuosités de la montagne, se blottissent sous des rideaux de pins, s’égrènent sur les berges, se tapissent dans les champs. Les