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M. Kumé remercia le président et l’assemblée de leur chaleureux accueil. Pendant qu’il parlait, en face de lui, sur un autre petit tertre, trois geishas entrelacées, le visage enfariné de poudre et les lèvres peintes, souriaient à travers la neige parfumée qu’un jeune arbre inclinait devant elles. Entre les deux tertres la foule massée écoutait l’orateur et accueillit ses dernières paroles d’applaudissemens qui partirent en fusées inégales. Puis on se dispersa. Le candidat, escorté de ses grands électeurs, fit le tour de l’enclos et contempla la tristesse du paysage, ses lointains d’arbres dénudés, ses routes grises et sa rivière tarie. Les Japonais retournèrent à leur saké. Les geishas sautillaient et clopinaient autour d’eux. Plus d’un les arrêtait au passage, et leur frottait la tête et les épaules d’une brève et rude caresse. Elles n’étaient point jolies, ces provinciales, mais leurs kimonos à ramages et leurs riches ceintures se poursuivaient sous les arbres comme des taches de lumière et des lueurs de vitraux.

Au moment où nous nous préparions à sortir, on voulut nous régaler de leurs danses. Elles accoururent et s’alignèrent sur deux rangs, les petites devant les grandes. A droite et à gauche, les joueuses de shamisen, leur instrument aux genoux, commencèrent d’en racler la triple corde. Les éventails des danseuses déployèrent d’un seul coup leur fantaisie bariolée et les mignonnes getas s’avançaient déjà d’un pas, quand un citoyen, dont l’eau-de-vie de riz amollissait les jambes, se mit en tête de passer, perdît l’équilibre et s’étala sur le nez. Il ne fallut pas moins de trois camarades pour l’emporter au milieu des éclats de rire. « Est-ce un électeur ? » demandai-je à Mikata. — « Non certes ! » — « A quel titre boit-il donc le saké de M. Kumé ? » — « Hé ! fit-il, pensez-vous qu’on n’ait à plaire qu’aux électeurs ? Chacun a ses amis, ses conseillers, ses cliens, ses vieux serviteurs qu’il est indispensable de fêtoyer, si l’on veut obtenir son suffrage. »

Les geishas, qui avaient du mal à reprendre leur sérieux, nous donnèrent alors le spectacle de leurs menues contorsions accompagnées de refrains aigrelets. Leurs avant-bras tournaient lentement sur leurs coudes et leurs mains remuaient les doigts en cadence. Elles ébauchaient de petits gestes imprécis, qui n’avaient rien de coquet ni de voluptueux, et pivotaient ainsi qu’un bataillon scolaire à l’exercice. Du sens peut-être caché de leur mimique, je ne percevais que le jeu des éventails, qui s’attiraient et se repoussaient. D’ailleurs, sous ce ciel et dans ce décor d’hiver, leur