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préventions, ils se laissèrent éblouir par la splendeur de nos artifices, leur crédulité qui nous avait attribué des sorcelleries nous gratifia d’une divine sagesse. Le spectacle de notre vie devait les désabuser. Les villes d’Europe et d’Amérique leur présentèrent des tableaux dont la crudité blessa leur délicatesse. Ils ne pénétrèrent pas jusqu’au désintéressement robuste qui soutient encore notre vieux monde et l’empêche de s’écrouler. La lumière de la civilisation n’éclaira pour eux que des misères et des vices Ces vices et ces misères ne leur étaient point inconnus, mais l’éclat dont nous les enveloppons les aggravait d’une singulière ardeur. Devant notre individualisme effréné, le souvenir de l’ancien Japon, où des siècles de sacrifice à la communauté avaient avait si doucement poli l’individu, remua leur cœur d’une émotion triste. Ils sentirent ce qu’ils allaient perdre et se détournèrent vers le chemin déjà sombre où s’éloignait leur âme d’autrefois, cette amie de l’ombre et des voiles, dont la résignation leur avait à jamais imprimé les lèvres d’un mystérieux sourire. Sans doute ce qu’ils allaient gagner les fascinait encore, mais ils nous en voulurent de leur imposer cette fascination et nous jugèrent avec d’autant plus d’âpreté que nos découvertes leur semblaient plus enviables. « Les Japonais, me disait un Européen, s’appliquent à relever nos moindres faiblesses ; ils y témoignent du même esprit de sévérité implacable et hargneuse que les ennemis de l’Eglise à constater les défaillances d’un prêtre, et ces hommes s’étonnent amèrement que nous soyons des hommes. »

Les uns cependant s’en accommodèrent sans trop de difficulté. Ils estimèrent que nos défauts avaient du bon, et dans la lutte pour la vie, dont on leur ouvrait la carrière, ils retroussèrent leurs manches. L’européanisme les délivra des mille contraintes où les astreignait la vieille police morale de l’Empire, et, tandis que les autres, d’une nature moins vulgaire, rapportaient de leur pèlerinage lointain une ombrageuse mélancolie, une piété plus consciente pour les choses du passé, le vague désir d’un nouvel état social qui unirait peut-être le respect des droits modernes au culte des anciens devoirs, ces jeunes gens entichés des modes et des mœurs occidentales, tout en affectant de nous mépriser, propageaient autour d’eux cette conception que la vie est une affaire et le bonheur un coup de Bourse.

Mikata ne partagea ni les déceptions rancunières des uns ni l’âpreté un peu cynique des autres. Sa foi survécut aux