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bouddhiste un bon nombre de citoyens militans que l’illusion politique avait entraînés dans ses vaines orgies. Leur griffe s’imprima toute vive à de hautes renommées, et le leader des progressistes, le comte Okuma, qui n’a plus qu’une jambe, est une œuvre signée d’eux. Ils incarnent aux yeux de la foule le souvenir des nobles escrimes. Leur silhouette décidée se dresse sur la platitude des temps modernes comme une image un peu pâlie des temps héroïques.

On les vit jadis, ces soshis, errant le long des routes, seuls ou par bandes, loqueteux ou bien nippés, mais toujours fiers, et le sabre toujours prompt. Ils portaient, d’ordinaire, un chapeau de paille en forme de panier renversé, et les filles de joie suivaient d’une œillade amoureuse ces samuraïs indépendans et hasardeux, qui parfois cheminaient derrière leur vengeance ou, plus souvent, quêtaient l’aventure d’un nouveau maître. Moitié condottieri, moitié chevaliers, moins chevaliers que condottieri, les légendes de bravoure et de vendetta qui s’attachaient à leur personne leur prêtaient une séduction mystérieuse. On les appelait alors les Ronins, et leurs exploits ont à jamais hanté l’imagination du peuple.

Aujourd’hui, dénués de leur mystère, dépanachés de toute chevalerie, recrutés au hasard parmi des compagnons fainéans et des étudians déclassés, manœuvres embauchés pour d’assez viles besognes, ils gardent néanmoins une espèce de prestige, qui les empêche de choir dans le mépris unanime, tant la fascination du courage brutal agit encore sur l’esprit japonais. Les soshis forment autour du candidat une garde du corps, à telles enseignes qu’on dirait un daïmio d’autrefois entouré de ses samuraïs. Ils obéissent à un chef, qui se tient respectueusement derrière le député et, de là, surveille la situation, pare aux imprévus, prend la parole dans les réunions publiques. Depuis quelques années, le personnage de l’éligible leur donne moins de souci que la personne des électeurs. L’électeur se dérobe. Cette escorte de policiers catégoriques lui cause une impression gênante. Il promet ce qu’on lui demande, et c’est même entre les solliciteurs et le sollicité un touchant assaut de courtoisie. Le jour venu de s’exécuter, notre homme, oublieux des droits sacrés que la révolution lui confère, prendrait le large, si les soshis n’assiégeaient les issues de sa maison et ne l’obligeaient d’user de son privilège. Dans certains arrondissemens, les électeurs s’en