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imposante, une institution sociale. Ils ne dissimulent point leur qualité, et leur nom n’est pas une injure.

On s’émerveille qu’un peuple ait pu sortir brusquement d’une féodalité séculaire pour entrer dans le parlementarisme. Plus je vais et moins cette révolution japonaise me paraît surprenante, car je m’aperçois tous les jours que ce parlementarisme n’est qu’une transformation pacifique de la féodalité, non point de celle que, durant deux siècles, les Tokugawa continrent et centralisèrent, mais de l’antique féodalité qui déchira et déchiqueta le pays. Il a les mêmes avantages, puisque ses jeux, ses remous et ses bourrasques permettent aux plus humbles d’émerger aux honneurs, et que, si l’on voit aujourd’hui des comédiens aspirer à la députation, on vit jadis un palefrenier s’élever presque au rang d’un empereur. Il présente les mêmes périls, puisqu’il surexcite les convoitises, exaspère les vanités individuelles, tond au désordre anarchique. L’esprit féodal n’a fait que changer de lit. Il se ressaisit et s’épand sur sa nouvelle arène, bat ses digues récentes, et s’accoutume aux écluses. Ne cherchez point à préciser le programme des partis politiques. Libéraux, progressistes, nationalistes : étiquettes empruntées et vides. Les électeurs japonais ne suivent pas une idée ; ils marchent derrière un homme. Ils ne relèvent pas d’un principe ; ils appartiennent à un fief. Depuis la Restauration, le pouvoir est aux mains de trois ou quatre clans, dont les membres disciplinés s’appellent, se relayent, se passent le délicieux fardeau. Autour de ces clans, des bandes s’organisent dont les chefs tombent et se succèdent au hasard de la guerre. Certes on agite des théories, on lance des déclarations, on brandit des lambeaux d’éloquence anglaise ou des pages arrachées au Contrat social ; et reste à savoir si de toutes ces palabres perdues quelques-unes ne feront pas un étrange chemin dans l’esprit de la foule. Mais, pour l’instant, les politiciens ne se soucient que de parler fort, de déposséder les grands vassaux politiques de l’empire et d’accaparer l’Empereur, car l’Empereur est aujourd’hui, comme autrefois, un palladium disputé par les factions.

Ces factions ne menacent pas encore la sécurité nationale. Elles intriguent plus qu’elles ne combattent. Le suffrage restreint les isole dans un enclos où la crainte et la haine de l’étranger les rapprochent et parfois les réconcilient. Aux premiers temps des élections, le Japon rajeuni huma dans les fumées nouvelles de la liberté le relent des anciennes guerres civiles. Des villages